Cascadeur, mais aussi comédien, scénariste et metteur en scène français, Yvan Chiffre s’est éteint le 27 septembre 2016, à l’âge de 80 ans.
En France, quand on parle « cascade », un nom, outre ceux de Jean Marais et Jean-Paul Belmondo, détonne : Rémy Julienne. Mais si ce dernier demeure effectivement une référence, il n’est bien sûr pas le seul en ce domaine. Et le sort de le rappeler : un de ses confrères, Yvan Chiffre, vient de nous quitter.
Peu connu du grand public, l’homme a pourtant exercé sur moult classiques du 7ème Art, dont un certain nombre de comédies hexagonales, telles Fantômas [photo ci-dessus, à gauche de Jean Marais] et Fantômas se déchaîne d’André Hunebelle, Le Corniaud et La grande Vadrouille de Gérard Oury, Les Cracks d’Alex Joffé, La Moutarde me monte au nez de Claude Zidi, C’est pas moi c’est lui de Pierre Richard. Il y réalise de folles cascades (comme, par exemple, les scènes de parachutage, et celles avec les planeurs dans La grande Vadrouille), parfois même, se voit offrir un petit rôle aux côtés d’illustres partenaires.
En 1975, il coécrit avec Christian Fechner le script de Bons Baisers de Hong-Kong, une désopilante parodie de James Bond. Le célèbre producteur, convaincu par son travail sur le diptyque Les quatre Charlots mousquetaires/À nous quatre, Cardinal !, décide de lui confier les rênes de la mise en scène. Au casting, Les Charlots, encore et toujours, ainsi que Mickey Rooney, Louis Seigner, Léon Zitrone, André Pousse, Bernard Lee, et des cascades désormais orchestrées par Rémy Julienne. Près de trois millions d’entrées à la clef ! Yvan Chiffre récidive dix ans plus tard, avec Michel Leeb dans Le Fou du Roi, le succès en moins.
Tournage de Bons baisers de Hong-Kong avec Les Charlots et Mickey Rooney
Dans ses mémoires intitulés À l’ombre des stars, 30 ans d’action dans le cinéma (éditions Denoël), dédiés à Gil Delamare et Gérard Moisan, deux collègues cascadeurs « morts pour ce métier », Yvan Chiffre revient en détail sur les coulisses d’une des séquences-phare du Corniaud :
« Le téléphone sonne, l’appel vient de Rome.
– Est-ce que tu as déjà plongé de très haut ?
– Oui, je crois que j’ai déjà plongé de douze mètres…
– Parce qu’il y a un plongeon de trente mètres à faire, dans un film que nous préparons avec Bourvil et de Funès. Est-ce que tu penses que tu peux le faire ?
Je me tais pendant une bonne demi-minute : trente mètres, ça fait quand même une sacrée hauteur ; dix étages…
Mon interlocuteur interrompt mes réflexions.
– Je dois t’avouer que les plongeurs italiens de haut vol ont tous refusé. Ça doit se passer en mer Tyrrhénienne, entre Rome et Naples.
J’accepte, et je pars pour le tournage du Corniaud. (…) Les caméras sont prêtes, je m’avance vers le bord de la grande falaise. Le trac commence à me prendre : c’est un sentiment un peu paralysant, mais aussi très positif, puisqu’il met tous les sens en éveil. (…) Je dois y aller. Je m’avance, vêtu en femme, comme l’exige le scénario. Sous la perruque aux longs cheveux blonds, je suis coiffé d’une calotte en acier qui doit amortir le choc. (…) Saut de l’ange : je regarde le ciel, puis ma tête commence à basculer. Je sens que je descends à une vitesse vertigineuse. Les yeux exorbités, je regarde la muraille rocheuse qui défile à une vitesse incroyable, comme un kaléidoscope. Trop vite, beaucoup trop vite. (…) Une explosion craque dans ma tête, j’ai l’impression qu’on m’a tapé le haut du crâne avec une batte de base-ball ; mes bras se retournent à l’extérieur, une interminable seconde s’écroule, puis je suis propulsé vers le haut et je surgis de l’eau. Partout autour de moi et sur la falaise, d’immenses applaudissements retentissent. (…) Au débarcadère, tout le monde m’entoure et je reçois les félicitations du metteur en scène Gérard Oury qui, très ému, me dit :
– C’était superbe ! Mais ce n’était pas de ce rocher que le plongeon était prévu, mais de l’éperon, beaucoup plus bas. Ça m’aurait suffi. Mais merci encore, c’était très beau ! »
Un tournage inoubliable, où il sympathise par ailleurs avec les deux vedettes : « J’ai retrouvé Bourvil sur d’autres films. Dès qu’il me voyait, il accourait toujours pour me saluer. »
Reportage consacré à Yvan Chiffre et à ses cascadeurs
Idem avec Louis de Funès : « Avec lui, nous avons surtout parlé de cinéma. Je constate à quel point sa femme joue un rôle important dans sa carrière, apportant beaucoup d’idées à tous les gags auxquels nous sommes en train de penser. On finit par disséquer le scénario du Corniaud, et je me rends compte alors qu’il aime le cinéma en connaisseur, en passionné. Évoquant les clins d’œil aux bons vieux acteurs du muet qu’il a ménagé dans le scénario, une sorte de miracle se produit : Funès devient intarissable, bouillant, éblouissant, humain, savant, subtil. Je ne me rappelle plus si nous avons parlé d’autre chose ; ce que je sais, c’est que je ne verrai plus jamais Louis de Funès sans penser à ce jardin secret qu’il porte en lui, le plus fidèle de tous les miroirs dans lesquels il peut se contempler. »
par Gilles Botineau