Artiste exemplaire, Roger Carel nous a quittés le 11 septembre 2020 à l’âge de 93 ans, après avoir mené une grande carrière principalement placée sous le signe de la Comédie.
Né le 14 août 1927 à Paris, Roger Carel imagine d’abord devenir prêtre, puis se ravise, au profit d’une envie restée longtemps secrète : « faire du théâtre. » Il passe une audition auprès de Jean Marchat (une relation de sa tante et acteur de renom, dirigeant en outre la scène des Mathurins), s’inscrit à plusieurs cours (Bauer-Thérond, Simon) et monte sur les planches dès la fin des années 1940 pour intégrer la distribution de pièces prestigieuses (La Dame aux camélias, Les Gaîtés de l’escadron, Cymbeline…). Dans la foulée, le septième art ne tarde pas à lui faire également les yeux doux. Ainsi, en 1955, il côtoie le nom d’une des plus importantes vedettes de l’époque, Robert Lamoureux, au générique du film Rencontre à Paris signé Georges Lampin. S’en suivent des productions aux qualités certes contrastées mais dont le résultat s’avère à chaque fois globalement sympathique, portées par la générosité de sacrés talents : Darry Cowl (Le Triporteur de Jack Pinoteau, 1957), Francis Blanche, Jacqueline Maillan (Les Bricoleurs de Jean Girault, 1963), Bourvil (La Grosse caisse d’Alex Joffé, 1965) ou encore Fernand Raynaud (Salut Berthe ! de Guy Lefranc, 1968) : « Certains films, expliquait Carel, procurent à leurs acteurs de grandes sensations artistiques. D’autres, plus modestement, leur fournissent le plaisir de tourner en bonne compagnie. »
Dans les années 1960, il démarre une carrière dans le doublage qui l’amène à incarner des personnages mythiques ayant bercé maintes générations : Astérix, Kaa (le serpent du Livre de la jungle), Winnie l’ourson, Mickey Mouse, C-3PO, Benny Hill, Alf… tout en s’immisçant dans la peau d’illustres comédiens (Peter Sellers, Charlie Chaplin, Jerry Lewis). En 1969, il dépanne même Eli Wallach lors de la post-synchronisation du film Le Cerveau de Gérard Oury, l’acteur d’origine américaine ne parvenant pas toujours à rejouer en français chacune de ses répliques.
Au fil des contrats, ses rôles gagnent peu à peu en consistance, tout d’abord grâce à Yves Robert, qui lui confie le personnage du curé dans sa très belle adaptation de Clérambard coécrite avec Jean-Loup Dabadie d’après Marcel Aymé, suivi par Michel Audiard (Une Veuve en or en 1969, Elle cause plus… elle flingue en 1972), Claude Zidi (Le Grand bazar, 1973), Pierre Tchernia (Le Viager en 1971, Les Gaspards en 1973, La Gueule de l’autre en 1979, dans lesquels il fait continuellement face à son infaillible compère Michel Serrault), sans oublier Gérard Oury (Le Coup du parapluie en 1980, où il côtoie Pierre Richard au cours d’une séquence mythique) et Jean-Marie Poiré (Papy fait de la résistance, 1983).
Une incroyable envolée qui, malheureusement, ne dure guère, la faute à une accumulation conjointe de mauvais choix, entre nanars poussifs (La Grande récré de Claude Pierson en 1975, Le Retour des bidasses en folie de Michel Vocoret en 1982, L’Emir préfère les blondes d’Alain Payet en 1983…) et comédies bassement érotiques (Ah ! Si mon moine voulait… de Claude Pierson en 1973, Q de Jean-François Davy en 1974, Les Gauloises blondes de Jean Jabely en 1987, Le Diable rose de Pierre B. Reinhard en 1987). CULtissime pour certains. Et Roger Carel lui-même semblait assumer : « Ce qui doit être très ennuyeux, c’est d’être obligé de faire une chose qui ne vous plaît pas, et c’est pareil dans tous les métiers. J’ai eu le bonheur de toujours enchaîner des choses qui me plaisaient. Quand on m’a proposé des films ou des séries qui ne me convenaient pas, j’ai toujours été honnête et je les ai refusés. » (actuabd.com)
Il n’empêche, parmi ses ultimes – et remarquables – prestations, on préfère retenir cette incursion dans l’œuvre de Philippe de Broca, entamée en 1980 (On a volé la cuisse de Jupiter), et qui s’achève près de dix ans plus tard, au travers d’une relecture extrêmement libre du célèbre conte Les Mille et une nuits. En compagnie de Thierry Lhermitte, Gérard Jugnot, Catherine Zeta-Jones et Vittorio Gassman, Roger Carel y interprète avec un bonheur communicatif le redoutable grand Vizir.
Dans ses mémoires, Roger Carel écrivait : « Jamais, dans ce métier, je ne me suis ennuyé. J’espère vous l’avoir prouvé. Je souhaite le même bonheur à tous les comédiens des nouvelles générations. J’avoue que j’ai bien ri. » Nous aussi !
par Gilles Botineau
Pour en savoir plus :
J’avoue que j’ai bien ri
de Roger Carel
avec la complicité d’Henri Marc
Éditions Jean-Claude Lattès
1986