Il symbolisait la quintessence de la musique burlesque à la française. Nourrie d’effets drolatiques (à base de klaxons, poires et percussions diverses), pleine de verve et brillamment orchestrée, son écriture renvoie aux grandes heures du cinéma comique des années cinquante et soixante. Le compositeur et chef d’orchestre français Gérard Calvi nous a quitté vendredi 20 février 2015 à l’âge de 92 ans.
Né en 1922, de son vrai nom Grégoire Krettly, Gérard Calvi était issu d’une famille de musiciens. Ses études au Conservatoire de Paris le mènent jusqu’au Prix de Rome en 1945. Dans l’intervalle, en 1941, il fraternise au Conservatoire avec un condisciple comédien, Robert Fourrey, le futur Robert Dhéry.
Cette rencontre déterminera la suite de son parcours : Gérard Calvi mettra en musique tous les spectacles de Dhéry, à commencer par les mythiques Branquignols, en 1948 au Théâtre La Bruyère. Indispensable complice à l’humour dévastateur et gentiment absurde des Branquignols, Calvi écrit les partitions de tous les films interprétés par l’équipe, la plupart sous la direction de Robert Dhéry (La Belle Américaine, Allez France !, Le Petit baigneur).
Colette Brosset, Robert Dhéry et Gérard Calvi à propos du film La Belle Américaine
Musicalement, on y retrouve une invention burlesque permanente, d’une savante loufoquerie, à mi-chemin entre Offenbach et Spike Jones, Chabrier et Gershwin. Porté par le succès, Calvi prolonge cette esthétique chez Yves Robert (La Famille Fenouillard), Jack Pinoteau (Robinson et le triporteur) ou Henri Verneuil (Le Grand chef). Logiquement, quand Maud Linder consacre un premier film de montage à son père, Max Linder, pionnier du burlesque, c’est à Calvi qu’elle fait appel. Du mouvement, des gags, des accélérations de tempo : le compositeur trouve un terrain d’entente idéal avec le cinéaste… disparu quarante ans plus tôt.
Gérard Calvi accompagne au piano Soyez ma femme de Max Linder
Mais c’est peut-être encore dans le film d’animation que l’écriture de Calvi donne sa pleine mesure : sa naïveté bon enfant, son sens de l’effet comique, son côté modal marquent à jamais les premières apparitions cinématographiques d’Astérix, l’irréductible Gaulois né de l’imagination de Goscinny et Uderzo (Astérix le Gaulois, Astérix et Cléopâtre, Les Douze travaux d’Astérix). « La musique de Gérard Calvi, résumait Goscinny, c’est déjà en soi du dessin animé. » Trait d’union entre le monde de Robert Dhéry et celui de René Goscinny, Pierre Tchernia offre également au compositeur de jolies fables, proches de l’univers de Marcel Aymé (Les Gaspards, Bonjour l’angoisse et surtout Le Viager, chef-d’œuvre d’humour noir). Leur fidèle collaboration se prolongera avec les émissions de l’ami Tchernia, pour lesquelles Calvi réutilise des compositions antérieures : ainsi, le thème générique de L’Œuf de Jean Herman servira d’indicatif à Monsieur Cinéma, rendez-vous phare des dimanches télévisés.
Les années soixante-dix sonneront comme le glas d’une époque. Gérard Calvi a cinquante ans, Robert Dhéry abandonne le cinéma en 1974 avec Vos gueules les mouettes, de nouveaux compositeurs font leur apparition. Né Après-Guerre, l’humour des Branquignols cède la place à celui d’une génération apparue avec mai 68, celle du café-théâtre (le Café de la Gare, puis le Splendid). Par un étrange passage de relais, l’un des derniers longs-métrages de Calvi est aussi le premier écrit par Christian Clavier, Gérard Jugnot et Thierry Lhermitte, C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule !, réalisé en 1974 par Jacques Besnard. Quatre ans plus tard, il est élu par ses pairs à la présidence de la Sacem.
Même si Calvi s’est beaucoup réalisé hors-cinéma (ballets, opéras, musiques de scène, de concert), on peut déplorer l’absence de curiosité des cinéastes à son égard, leur incapacité à voir au-delà d’un emploi ne correspondant pas à la réelle palette de ses capacités. D’autant que ses rares échappées vers d’autres territoires (La Tulipe noire de Christian-Jaque) laissaient entrevoir un large champ de possibilités… «Histoire de me défouler, j’aurais aimé écrire pour des drames psychologiques ou des polars, avouait le compositeur. Mais j’avais une étiquette dans le dos. Au cinéma, on vous engage toujours pour ce que vous avez déjà réussi.» Mais qu’importe, après tout : les euphorisantes chansons d’Astérix et Cléopâtre, notamment « Quand l’appétit va, tout va », ont toujours le même impact sur les enfants du XXIème siècle.
par Stéphane Lerouge
Monsieur Cinéma, les musiques de films de Gérard Calvi
(CD Play Time, 1998)