↑ Photo de François Leterrier et Christian Clavier sur le tournage de Je vais craquer !!! © Étienne George/Sygma
Réalisateur de quelques comédies cultes du cinéma français, François Leterrier nous a quittés le 4 décembre 2020 à l’âge de 91 ans.
Né le 26 mai 1929 à Margny-lès-Compiègne, François Leterrier débute sa carrière au cinéma, tout d’abord en tant qu’acteur dans Un condamné à mort s’est échappé (1961) de Robert Bresson. Lorsqu’un journaliste lui demande à la sortie du film si le travail du cinéaste l’a influencé, le jeune comédien répond : « L’ayant vu travailler, j’ai découvert que faire un film c’est d’abord s’obstiner pendant un certain temps. Mais il est certain que le cinéma a pris pour moi un sens à partir de ma rencontre avec lui. »
Après une apparition furtive dans Stavisky (1973) d’Alain Resnais, Leterrier met définitivement un terme à sa courte carrière de comédien. Attiré néanmoins par la caméra, il devient assistant-réalisateur de Louis Malle sur Ascenseur pour l’échafaud (1958) et Les Amants (1958), puis de Marc Allégret sur Les Affreux (1959). Dans les années 1960, il fait premiers pas de réalisateur et signe trois drames : Les Mauvais coups (1961) avec Simone Signoret, Un roi sans divertissement (1963) pour lequel il reçoit le Grand Prix du cinéma français, puis La Chasse royale (1969) avec Claude Brasseur.
Leterrier abandonne les sujets délicats et le cinéma d’auteur dans lequel seuls les cinéphiles se retrouvent, et aborde un cinéma plus populaire. Il change même radicalement de registre en réalisant Goodbye Emmanuelle (1977), troisième film de la saga avec Sylvia Krystel. En 1978, le réalisateur se lance dans la comédie avec tout d’abord le méconnu Va voir maman, papa travaille (d’après le roman à succès de Françoise Dorin publié en 1976), une comédie de mœurs tendre et sensible adaptée par Danièle Thompson avec Marlène Jobert et Philippe Léotard. Le film traite d’un sujet jusqu’ici tabou : les enfants rendent-ils les adultes automatiquement heureux, et n’empêchent-ils pas les adultes de s’épanouir dans leur vie d’adulte en menant de front leur vie sentimentale, leur vie familiale et leur vie professionnelle ? « Personnellement, je ne connais personne qui arrive à mener ces trois éléments fondamentaux sans au moins en sacrifier un », confiait Marlène Jobert à Pierre Tchernia dans l’émission Monsieur Cinéma. « C’est un sujet grave qui concerne tout le monde, surtout que François Leterrier l’a traité avec beaucoup de minutie, d’authenticité. Les personnages, ce qu’ils font, comment ils agissent, sont tellement vrais que l’identification est immédiate, c’est ce qui trouble beaucoup les gens. » Première comédie, premier succès : 1.051.955 spectateurs.
Il entame la décennie 1980 avec une collaboration fructueuse avec le Splendid. Après le succès des Bronzés, les membres du Splendid commencent à s’émanciper. Premier à s’extirper du groupe, Christian Clavier* a le rôle principal du film Je vais craquer !!! (1980), tiré de la bande dessinée de Gérard Lauzier La Course du rat que Jacques Dutronc a fait découvrir à François Leterrier, ce dernier avouant à l’époque ne pas être un lecteur de BD. « Avant de faire une bande dessinée, Lauzier a écrit un script, raconte François Leterrier. Nous, on a pris le script de Lauzier pour en faire un script de cinéma, mais on ne s’est pas préoccupé de rechercher les cadrages « bande dessinée ». C’est un film qui ne relève en aucun cas de l’esthétique de la bande dessinée. » Interrogé lors du tournage, Gérard Lauzier confiait : « Graphiquement, je ne trouve pas mon dessin intéressant, donc il n’y avait pas de raison en plus de conserver le caractère. Finalement, on a déposé la bande dessinée comme un moteur et on a vu quelles étaient les parties faibles. Si je refaisais la bande dessinée, je ne la ferais plus du tout de la même manière, je la dessinerais telle qu’elle va être filmée, parce que tout ce qu’on a transformé, c’était ce qui était mauvais, ce qui était faible. Tout ce qui était bon, on l’a conservé intégralement. »
À sa sortie, Je vais craquer !!! attire 1.053.217 spectateurs. François Leterrier demande alors à Clavier d’être la vedette de son prochain film et d’en assurer l’écriture. Occupé sur un autre projet, le comédien propose à Philippe Bruneau et Martin Lamotte d’écrire le scénario. Trouvant le résultat un peu trop bavard, Leterrier restructure l’ensemble. L’argument du film est de lancer un parisien un peu coincé dans une communauté d’écolos. L’équipe loge pendant deux mois dans des maisons proches du lieu principal du tournage, une bastide de la région d’Apt (Vaucluse). L’ambiance est détendue, il fait beau, l’équipe reçoit la visite de nombreux amis (Josiane Balasko, Coluche…). Bref, malgré de légers incidents, le tournage se déroule dans une ambiance de colonie de vacances.
Affublé du titre Quand tu seras débloqué, fais-moi signe !, le film, qui aurait dû s’appeler Les Babas-cool, n’aiguise pas suffisamment la curiosité des spectateurs. « Je le regrette parce que je crois que le film aurait certainement mieux marché et plus surpris », raconte le producteur Yves-Rousset Rouard. Trois ans plus tard le film retrouve son titre initial pour son exploitation vidéo et le nombre d’adeptes augmente sensiblement.
François Leterrier poursuit son parcours dans la comédie durant les années 1980. Un an après Le Garde du corps (1984), une comédie exotique en cinémascope écrite par Didier Kaminka, François Leterrier et Gérard Jugnot, ce dernier tenant le rôle-titre aux côtés de Jane Birkin et Sami Frey, le réalisateur renoue avec la tradition du film à sketchs et adapte une autre bande dessinée de Gérard Lauzier. Dans Tranches de vie (1985), le réalisateur retrouve le Splendid au grand complet et s’amuse avec son casting haut de gamme (Catherine Alric, Anémone, Laura Antonelli, Josiane Balasko, Michel Boujenah, Jean-Pierre Cassel, Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Jean-Pierre Darroussin, Michel Galabru, Roland Giraud, Gérard Jugnot, Martin Lamotte, Pierre Mondy, Luis Rego) dans plusieurs saynètes toutes plus cocasses les unes que les autres, le film se terminant en apothéose avec Le Meilleur ami de l’homme dans lequel Christian Clavier se retrouve atteint dans sa virilité à cause du chien jaloux de sa conquête d’un soir interprétée par Anémone.
Au début des années 1990, il réalise Le Fils du Mékong (1992), comédie mineure avec Jacques Villeret, qui accepte de jouer dans le film par pure amitié pour le jeune comique Tchee (un ancien du Théâtre de Bouvard), autour duquel tout le film est construit. Durant cette décennie, François Leterrier poursuit son travail de réalisateur pour le petit écran et signe plusieurs téléfilms et épisodes de séries télé.
Peu prolifique par rapport à d’autres réalisateurs, François Leterrier laissera malgré tout son empreinte dans le cinéma comique des années 1980 grâce à quelques comédies inoubliables.
En avril 1980, Francis Veber évoquait le cinéaste dans l’émission Ciné-regards : « François Leterrier a fait un itinéraire intéressant parce qu’il est passé de films de cinéphile comme Projection privée à des films très commerciaux comme une deuxième ou troisième Emmanuelle et enfin à ce travail avec Lauzier. C’est un itinéraire qui peut paraître biscornu mais que je crois comprendre un peu, c’est à dire qu’un metteur en scène, ça doit tourner, c’est absurde d’attendre l’occasion pendant des années et de ne pas avoir l’outil en main. »
par Jérémie Imbert