J’ai un certain dégoût du monde mais je m’arrange toujours pour que les histoires que je raconte ressemblent à des songes. Écrire, pour moi, c’est embellir. (Daniel Boulanger, Le Monde, 2002)
C’est avec une grande tristesse que nous avons appris la disparition lundi 27 octobre 2014 à l’âge de 92 ans d’un des scénaristes et dialoguistes les plus talentueux du cinéma français : Daniel Boulanger. Il laisse derrière lui une œuvre exemplaire, composée de quinze recueils de nouvelles, vingt-neuf romans, vingt-sept recueils de poésies, cinq pièces de théâtre, et plus d’une quarantaine de films.
« Écrire un scénario est un moyen de rentrer dans la vie publique. Dès lors, mieux vaut avoir décidé de faire rire les gens. Les Bourreaux meurent aussi est un excellent film mais, sur un sujet assez proche, To Be or Not To Be représente mieux ce que je voudrais faire. J’exècre les films sur la guerre ou sur les camps de concentration parce qu’on ne pourra jamais y atteindre la vérité des bandes d’actualités. Il y a là de l’escroquerie, de l’irrespect et du douteux. En fait, la plus grande morale est de faire passer bien leur temps aux gens qui sont vos contemporains. Je crois à cela avec d’autant plus de force que j’ai été au séminaire. Les pitres sont les vrais moralistes. Ce que j’aime dans un dialogue de comédie, c’est d’y introduire aussi des phrases curieuses et fortes que j’ai pu entendre la veille ou il y a dix ans. Un dialogue ne peut prendre de valeur que situé très près de la réalité, dans l’expression la plus rapide (…) En définitive, je ne vois pas pourquoi on devrait se prendre la tête dans les mains, et jouer les grands prêtres. Les choses sont beaucoup plus simples. » (Daniel Boulanger, Présence du cinéma, 1963)
Il avait écrit et dialogué les meilleures comédies de Philippe de Broca : Les Jeux de l’amour (1960), Le Farceur (1960), L’Amant de cinq jours (1961), Cartouche (1962), Les Veinards (1963), L’Homme de Rio (1964), Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965), Le Roi de cœur (1966), Le Diable par la queue (1969), Les Caprices de Marie (1970). Dès leur première collaboration sur Les Jeux de l’amour, le cinéaste racontait : « J’avais envie d’avoir des gens qui n’avaient pas fait de cinéma. Daniel Boulanger avec qui j’écrivais le scénario n’avait jamais écrit. J’avais vingt-cinq ans, c’était peut-être un réflexe de ne pas me sentir dominé par un type qui a déjà de l’expérience et qui m’aurait embarrassé avec son expérience. » Après plus d’une dizaine de collaborations, de Broca confiait : « J’ai écrit la majorité de mes films avec Boulanger, et ma personnalité a certainement été influencée par lui. Je lui ai pris des idées, je me suis nourri de lui. Si nous nous entendions parfaitement, c’est que nous avions des idées très voisines sur tout. Daniel n’a jamais écrit une ligne de mes films sans que je sois à plus de dix mètres de lui. Tout ce que vous entendez dans le dialogue est de lui, mais j’étais là. »
Daniel Boulanger avait également collaboré à de nombreuses comédies devenues pour la plupart des classiques du genre : Le petit garçon de l’ascenseur (Pierre Granier-Deferre, 1962), Peau de banane (Marcel Ophüls, 1963), Échappement libre (Jean Becker, 1964), La Vie de château (Jean-Paul Rappeneau, 1966), Monnaie de singe (Yves Robert, 1966), Tendre voyou (Jean Becker, 1966), Le Voleur (Louis Malle, 1967), Les Pétroleuses (Christian-Jaque, 1971), Les Mariés de l’an II (Jean-Paul Rappeneau, 1971) et Pas folle la guêpe (Jean Delannoy, 1972). « Le monde que je décris est un monde qui s’en va, disait Boulanger. C’est insensé la vitesse à laquelle il change. Remarquez, ça n’a rien de nostalgique, je ne me complais pas dans le passé. Écrire, c’est s’empêcher de mourir. »
Il avait également fait des apparitions dans quelques films de Philippe de Broca (Les Jeux de l’amour, Le Farceur, Le Roi de cœur), de François Truffaut (Tirez sur le pianiste (1960), La Mariée était en noir (1968), Domicile conjugal (1970)), et même dans À bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960) et dans La Zizanie (Claude Zidi, 1978).
••• En juin 2003, Stéphane Lerouge recueillait ce témoignage poignant de Philippe de Broca :
« Pendant dix ans, des Jeux de l’amour aux Caprices de Marie, mes films ont été coécrits par Daniel Boulanger et mis en musique par Georges Delerue. Comme le résultat d’une symbiose à trois… J’étais au centre, encadré par deux auteurs qui intervenaient aux deux extrémités de la chaîne. Je pensais -et je pense toujours- qu’ils avaient plus de talent que moi ! (rires) Boulanger, en particulier, me fascinait et me terrorisait : je le trouvais intellectuellement plus original, plus inventif que moi-même. J’étais influencé par sa personnalité, par son sens du baroque, par ses trouvailles humoristiques ou poétiques. Trouvailles que j’acceptais car il me dominait. C’est tout le drame de ma vie : j’ai le sens de la grandeur mais sans avoir de génie. Il me faut des collaborateurs pour me tirer… Georges, lui, une fois le film tourné, me ramenait à l’essentiel, à ce que je voulais exprimer : la vie, avec ses drôleries, ses renoncements, ses petits désespoirs ou ses grands chagrins, le tout enveloppé de légèreté… car il s’agit d’abord de comédies, ce qui est de ma part une courtoisie ou une lâcheté.
Le début des années soixante-dix a marqué la fin de notre trio. Après Les Caprices de Marie, je ne travaillerais plus avec Boulanger… sauf pour Chouans !, en 1987, qui est l’aboutissement d’un vieux projet élaboré des années plus tôt. Quant à Georges, notre collaboration allait se poursuivre mais de manière plus discontinue. Curieusement, mon premier film sans Boulanger a aussi été mon premier film sans Georges : La Poudre d’escampette, écrit par Jean-Loup Dabadie, en 1971. Après neuf longs-métrages, je n’avais pas de scrupule à abandonner ponctuellement l’ami Delerue. C’était une infidélité, pas une trahison. De son côté, il travaillait sans arrêt, pour des tas d’autres metteurs en scène… Au départ, je croyais naïvement que nous aurions encore plus de plaisir à refaire équipe sur le film d’après… En réalité, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit. Vous desserrez des liens que vous ne retrouvez plus à l’identique… Quand le trio s’est reformé pour Chouans !, il était déjà trop tard. Trop de temps avait passé… Je n’ai plus retravaillé avec Boulanger, que j’ai depuis complètement perdu de vue, je n’ai plus revu Georges qui nous a quittés quatre ans plus tard… Même si je suis orphelin des deux, je souffre moins de l’absence de Delerue : il n’est plus avec nous. Alors qu’il suffirait d’un coup de fil à Boulanger… (silence) »
Le 21 janvier 2022, La Poste édite un timbre afin de célébrer le centenaire de la naissance de Daniel Boulanger.
par Jérémie Imbert et Gilles Botineau