Souvent moqués en France, Terence Hill et Bud Spencer ont pourtant été des stars internationales dans les années 1970 et 1980, et sont aujourd’hui des icônes en Italie et en Allemagne. De 1967 à 1994, ils ont tourné 17 films, dont les plus célèbres sont On l’appelle Trinita, Deux super-flics et Pair et impair. Mais comment se sont-ils rencontrés ?
Western à l’italienne
En 1967, le western italien est en plein boum. Sergio Leone a créé un courant que tout le monde s’est empressé de suivre. Giuseppe Colizzi se prépare à réaliser son premier film, intitulé Il gatto, il cane e la volpe, ce qui signifie « Le chien, le chat et le renard ». Pour le rôle du « chien », il se rappelle de Carlo Pedersoli, qui fut un grand nageur dans les années 1950, participant même aux Jeux olympiques d’Helsinki et de Melbourne. Il décide de le contacter.
« Colizzi a téléphoné à ma femme et lui a demandé si j’étais aussi costaud qu’à l’époque des Jeux Olympiques. Elle lui a répondu : « Non, il est encore plus gros, parce qu’il mange et qu’il ne fait pas de sport ! » (sourire) J’ai parlé à ce monsieur, qui m’a demandé si je maîtrisais l’anglais. J’ai dit : « Non ». « Vous montez à cheval ? » « Je ne suis jamais monté sur un cheval de ma vie. » « Vous avez la barbe ? » « Non, chaque matin, je me rase. » Ça a commencé comme ça… Colizzi est parti chercher quelqu’un d’autre, dans mon genre, mais il n’a trouvé personne. Alors il est revenu vers moi et m’a dit : « OK ! ». C’est comme ça que ma carrière a commencé. »
Terence Hill raconte – en anglais – sa rencontre avec Bud Spencer
Lorsqu’il s’envole pour Madrid (après s’être fait pousser la barbe), Carlo Pedersoli pense sincèrement qu’il ne fera qu’un seul film. Il n’est pas acteur et n’imagine pas faire carrière. Il espère simplement vivre une expérience agréable à jouer les cow-boys durant deux mois (pour un million de Lires). On lui demande de prendre un pseudonyme anglo-saxon comme c’est alors la mode (Giuliano Gemma s’appelle Montgomery Wood, Gian Maria Volontè est devenu John Wells, etc.). Il choisit Bud Spencer ; Spencer en hommage à l’acteur américain Spencer Tracy qu’il adore (Le Père de la Mariée, Un homme est passé…) et Bud… à cause de la bière américaine du même nom !
Le chat à la patte cassée
À Almeria, région désertique du sud de l’Espagne où se tournent tous les westerns italiens, Bud Spencer fait la connaissance de ses partenaires : Peter Martell, le « chat » et Frank Wolff, le « renard ». Au matin du premier jour de tournage, qui va constituer le baptême du feu pour l’ex-champion de natation, le producteur annonce affolé que Martell vient de se casser le pied et qu’il n’est plus en mesure de marcher ou de monter à cheval, bref, de faire le film.
L’expérience cinématographique de Bud Spencer est donc sur le point de tourner court. Mais la Crono Cinematografica ne peut se permettre de tout annuler et dépêche Giuseppe Colizzi à Rome pour trouver un remplaçant, tandis que l’équipe reste en Espagne à l’attendre. Il se rend sur le tournage de Little Rita nel West, un affligeant western comique (plus tard exploité en France sous le titre T’as le Bonjour de Trinita), produit par son ami Manolo Bolognini, qui lui présente la vedette du film, un certain Mario Girotti. Colizzi n’y va pas par quatre chemins, comme s’en souvient l’acteur : « Il m’a dit : « Écoute, j’ai un rôle en attente. Avec ton chapeau noir et tes yeux bleus, pour moi tu ressembles à Franco Nero. » [l’interprète de Django et grande vedette du western à l’italienne] Et c’est comme ça que j’ai été engagé…».
Mario et Carlo sur un plateau
Girotti suit Colizzi en Espagne et rencontre donc Bud Spencer, en qui il reconnaît tout de suite l’ex-nageur Carlo Pedersoli. Car en 1951, à l’âge de douze ans, il a eu tout le loisir de l’observer s’entraîner à la piscine de la Lazio. « Je l’admirais énormément, car c’était un très bon nageur. Mais, entre nous, il était très paresseux pendant les entraînements, il se la coulait douce, c’est le cas de le dire ! Il se jetait à l’eau et nageait comme un petit chien. Je suis persuadé que s’il s’était plus entraîné, il aurait gagné la médaille d’or aux jeux olympiques. »
Leur collaboration commence sous de bons auspices mais Girotti ignore alors (et ne l’apprendra que bien plus tard) qu’ils se sont déjà trouvés sur un même plateau huit ans auparavant. En effet, Mario tenait un des rôles principaux du péplum Annibal, et parmi les figurants habillés en soldats se trouvait le costaud Carlo !
En Espagne, on demande aussi à Girotti de changer de nom. La production lui soumet une liste de vingt pseudonymes et lui donne vingt-quatre heures pour en choisir un. Sur le tournage, l’acteur bénéficie de l’aide d’un coach américain pour parfaire son anglais (langue dans laquelle est tourné le film), une certaine Lori Hill avec laquelle il va entretenir des relations plus que professionnelles. Elle deviendra sa femme et lui donnera deux enfants. Aussi, lorsque Mario Girotti aperçoit le nom de Terence Hill dans la liste, il l’adopte !
Une alchimie inexplicable
Le tournage se passe sans encombres puis chacun repart de son côté. Mais le film, finalement intitulé Dieu pardonne… pas moi ! (Dio perdona… Io no !), fait un triomphe en Italie, réalisant des recettes qui le placent juste derrière Pour une poignée de dollars de Sergio Leone. Et surtout, un événement non prévu se produit.
« Colizzi est allé un peu partout en Italie pour voir le film dans les salles, se souvient Hill, et il a remarqué que dans les scènes où nous étions tous les deux, le public réagissait fortement. « Quand tu es avec Bud » m’a-t-il dit, « le public sent l’alchimie et il rit. Alors quelle qu’en soit la raison, et je ne la comprends pas, je vais vous remettre tous les deux ensemble ! » »
Du coup, un nouveau film est mis en chantier, Les Quatre de l’Ave Maria, où Terence Hill et Bud Spencer donnent la réplique à Eli Wallach. Les premières bagarres comiques apparaissent dans ce film et le duo commence à réellement se former, sans que les principaux intéressés ne parviennent à analyser le phénomène. Après La Colline des Bottes en 1969, le duo se retrouve dans un western parodique, On l’appelle Trinita, qui va lancer leur carrière comique. Mais ceci est une autre histoire…
par Philippe Lombard