De Police Squad! à Y a-t-il un flic… ou comment une série annulée au bout de 6 épisodes est devenue une des trilogies les plus célèbres du cinéma comique.
Commissariat de police – Intérieur jour. Un flic grisonnant s’approche d’une victime encore secouée par une agression. Bienveillant, il extirpe de la poche de son veston un paquet de Lucky Strike. Le flic : « Cigarette ? » La victime : « Oui, je sais. » Ce dialogue absurde fait partie des (nombreux) running gags de Police Squad!, série parodique éphémère à la durée de vie aussi limitée que le QI de son personnage principal, le détective Frank Drebin.
Au lendemain du succès de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (1980), la chaîne CBS commandite à Jerry Zucker, Jim Abrahams et David Zucker (plus connus sous l’acronyme ZAZ) le script d’une série policière comique destinée à assurer les premières parties de soirée du network. Inspiré par les antiques Dragnet, Le Fugitif et Peter Gunn, le trio choisit de retranscrire son sens aigu de la parodie et ses gags visuels dévastateurs au service du petit écran. Du cadrage figé au jeu straight de ses acteurs en passant par le jazz big-band de la bande-son, les ZAZ s’approprient les codes des séries policières des années 1950 pour mieux les détourner. Pour le personnage principal du détective, Jerry Zucker, Jim Abrahams et David Zucker se souviennent de l’impassible Lee Marvin dans la série M Squad et ne tardent pas à trouver son double : Leslie Nielsen, le médecin taciturne de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? arbore la même chevelure argentée. À l’instar de l’acteur d’À bout portant, il possède également une incroyable capacité à rester stoïque dans les situations les plus extrêmes. Reste à trouver un nom au chaînon manquant qui relie l’inspecteur Clouseau à Austin Powers. Ce sera chose faite le jour où David Zucker posera son index sur un Drebin anonyme figurant dans l’annuaire. À ses côtés, Alan North incarne la Capitaine Ed Hocken, le supérieur de Frank Drebin, et Peter Lupus (le viril Willy Armitage de la série Mission : impossible) interprète l’officier Nordberg. Les guest-stars jouent également un rôle important dans la série, à un petit détail près : l’invité spécial de chaque épisode succombe dès le générique. Ainsi, William Shatner, Lorne Greene, Robert Goulet et William Conrad périssent (au choix) flingués, empoisonnés, poignardés ou écrasés par un coffre-fort. Une séquence identique tournée avec John Belushi, où celui-ci finit au fond d’un lac dans une dalle de béton, ne sera jamais diffusée pour cause d’overdose fatale du Blues Brother peu de temps après le tournage.
Police Squad Intro
Une série à l’abattoir
Les ZAZ, Paul Krasny, Reza Badiyi, Georg Stanford Brown et Joe Dante se partagent la réalisation des six épisodes commandés par CBS. Pat Proft, Robert Wuhl, Tino Insana, Nancy Steen et Neil Thompson travaillent aux scénarios en compagnie du triumvirat. Chacun respecte la ligne de conduite dictée par Jerry Zucker, Jim Abrahams et David Zucker en insistant sur la nécessité absolue, pour les acteurs, de ne pas jouer « comique ». Mais avant même le tournage du premier épisode, un clash éclate entre la production et les ZAZ. CBS exige l’insertion de rires pré-enregistrés, à la grande déception du trio. « Le network voulait qu’on ajoute ces rires au montage, mais on ne savait pas où les mettre car la plupart de nos gags visuels figuraient en arrière-plan », explique Jerry Zucker dans les commentaires du DVD de la série paru en 2006. Les ZAZ finissent par emporter gain de cause, mais leur répit sera de courte durée. Diffusé le 4 mars 1982, A Substantial Gift, le premier épisode de la série Police Squad!, n’atteint pas les scores d’audience espérés par CBS. Sans doute désarçonné par l’humour absurde, les coqs à l’âne visuels et le second degré général propre au comique ZAZ, le grand public décroche et préfère zapper sur les autres chaînes. « On nous avait envoyé à l’abattoir en face de Magnum et Fame ! C’était comme si la série avait été passée d’entrée au broyeur à ordures », regrette le producteur Robert K. Weiss. Trois autres épisodes (Ring of Fear, The Butler Did It et Revenge and Remorse) seront diffusés jusqu’au 25 mars, date où le couperet tombe. Faute d’audience, CBS décide d’annuler la série. Sur les six épisodes tournés, quatre ont été diffusés, les deux autres (Rendezvous at Big Gulch et Testimony of Evil) ayant dû atteindre une première rediffusion de la série en juillet.
Chez les ZAZ, la déception est énorme. Un sentiment partagé par Leslie Nielsen, qui expliquait en 2006 que « la série n’avait pas marché simplement car il fallait regarder la télé. Ça peut paraître idiot, mais les gens ne regardent pas vraiment la télévision. Ils sont occupés à faire autre chose, à lire par exemple, et les rires pré-enregistrés sont là pour qu’ils se demandent : « Ah, ils rient, ça a dû être drôle. Qu’est-ce que j’ai bien pu rater ? », puis ils retournent à leurs occupations. » Une autre raison de cet échec réside dans la taille d’un écran de télévision peu adaptée aux célèbres gags d’arrière-plan méticuleusement confectionnés par les ZAZ. « On perd une grande partie de cet humour car les écrans de TV sont trop petits, contrairement au cinéma où vous avez l’impression qu’il peut vous tomber dessus à tout moment », poursuit Leslie Nielsen. Au cours des mois qui suivent, les producteurs de la série envisagent une tentative de long-métrage en remontant les scènes de la série et en y ajoutant de nouvelles séquences, dont une variante du générique de fin (le fameux plan arrêté où les acteurs continuent à jouer) tournée dans un tribunal dévasté par une explosion. Le projet restera sans lendemain, mais Frank Drebin, comme son homologue l’inspecteur Harry, ne renonce jamais.
De Police Squad! à Y a-t-il un flic…
En 1986, Jerry Zucker, Jim Abrahams et David Zucker présentent Y a-t-il quelqu’un pour tuer ma femme ? (Ruthless People) au Festival du film américain de Deauville. Lors de la conférence de presse, un membre de l’assistance déplore l’absence de gags visuels, la marque de fabrique des ZAZ, dans leur comédie noire interprétée par Bette Midler et Danny De Vito. Piqué au vif par cette remarque et l’insuccès de la sortie du film en salles, le trio songe à renouer avec la signature gaguesque des désopilants Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et Top Secret! L’éclair de génie viendra de Leslie Nielsen, qui évoque l’idée d’adapter la franchise Police Squad! au grand écran. Les ZAZ et le scénariste Pat Proft conçoivent rapidement un pitch vaguement inspiré d’Un espion de trop, un thriller réalisé par Don Siegel en 1977 dans lequel des espions « dormants » sont réactivés à distance par un poème prononcé au téléphone.
Côté casting, on retrouve Leslie Nielsen dans le rôle de l’inspecteur Frank Drebin. Avec Ted Olsen, le scientifique exubérant interprété par Ed Williams, Nielsen est le seul membre original de la série. Devant l’insistance de la Paramount, George Kennedy, oscarisé en 1967 pour son second rôle dans Luke la main froide, hérite du rôle du Capitaine Ed Hocken. Celui de l’officier Nordberg échoit à O.J. Simpson, célèbre retraité des terrains de football américain au casier judiciaire encore vierge. Vieille connaissance des amateurs de séries TV, Ricardo Montalban (le Mr. Roarke de L’île fantastique) incarne le maléfique Vincent Ludwig. Les ZAZ ont également songé à rajouter Bo Derek à la distribution pour incarner la plantureuse Jane Spencer, mais c’est finalement Priscilla Presley, l’ex-épouse du King, qui décroche le premier rôle féminin après avoir été aperçue dans un épisode de Dallas. Ultime clin d’œil : producteurs, attachés de presse, membres de la sécurité, machinistes, familles et enfants et même le dentiste des ZAZ ont aussi droit à leurs apparitions Hitchcokiennes !
Bande-annonce Y a-t-il un flic pour sauver la Reine ?
La plus belle des revanches
Réalisé par David Zucker, Y a-t-il un flic pour sauver la Reine ? (The Naked Gun – From the Files of Police Squad! en VO) recycle -pour le meilleur- un grand nombre de gags et de répliques issues de la série originale, de la banane au coin de la bouche du flic géant au gyrophare du générique en passant par l’inévitable « Cigarette ? Oui, je sais ». Y a-t-il un flic pour sauver la Reine ? sort sur les écrans américains le 2 décembre 1988 et empoche plus de 78 millions de dollars au box-office US. Une suite s’impose logiquement, et Y a-t-il un flic pour sauver le Président ?, une nouvelle fois réalisé par David Zucker, voit le jour en 1991. Naked Gun 2 1/2, The Smell of Fear, le titre original, est une private joke des ZAZ et de Pat Proft, pour qui cette suite était « tellement énorme qu’il fallait rajouter un 1/2 au titre ». Propulsé par une bande-annonce hilarante parodiant le Ghost de Jerry Zucker (« par le frère du réalisateur de Ghost… »), et des taglines fendardes (« Si vous ne voyez qu’un film cette année… Sortez plus souvent !) », Y a-t-il un flic pour sauver le Président ? poursuit son exploration délirante de l’humour non-sensique des ZAZ via un pitch abracadabrantesque où la vie de George W. Bush senior est menacée par un sournois lobby énergétique. En clin d’œil à Police Squad!, Robert Goulet, tué au générique du troisième épisode de la série, endosse le rôle du malintentionné Quentin Hapsburg.
Bande-annonce Y a-t-il un flic pour sauver le Président ?
Sorti aux Etats-Unis le 28 juin 1991, Y a-t-il un flic pour sauver le Président ? dépasse le score de son prédécesseur avec plus de 56 millions dollars de recettes pour un coût de production de 23.
Un succès inespéré qui donnera lieu à un troisième et dernier volet en 1994, Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ? (Naked Gun 33 1/3 : The Final Insult). Cette fois, David Zucker cède son poste de réalisateur à Peter Segal tout en restant producteur exécutif du long-métrage aux côtés de Jim Abrahams et son frère Jerry. De son introduction en fanfare parodiant Les Incorruptibles et Le Cuirassé Potemkine jusqu’à son final extravagant où Raquel Welch perd toute dignité lors d’une décapante cérémonie des Oscars, Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ? sonde à nouveau la fibre parodique des ZAZ. David Zucker va encore plus loin en insérant carrément des scènes coupées du film précédent, dont la séquence de flashback où le pauvre Nordberg est traîné sur plusieurs mètres par la voiture des mariés !
Bande-annonce Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ?
Moins réussi que ses prédécesseurs malgré quelques scènes de bravoure, Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ? encaisse tout de même 51 millions de dollars au box-office US. La fin des aventures de Frank Drebin, mais aussi, au final, une formidable récompense, douze ans après l’arrêt inopiné de Police Squad! Leslie Nielsen : « Les trois Naked Gun ont remporté un énorme succès en salles, et c’est la plus belle revanche que peut avoir une série annulée au bout de six épisodes. »
Bonus
En 1990, Frank Drebin s’octroie une pause publicitaire avec le cidre britannique Red Rock Cider. Découvrez ci-dessous la passion méconnue de l’inspecteur gaffeur pour le jus de pommes gazéifié !