Auteur et dialoguiste ayant largement contribué à donner ses lettres de noblesse à la Comédie à la française, Jean-Loup Dabadie s’est éteint dimanche 24 mai 2020 à l’âge de 81 ans.
Né le 27 septembre 1938, le jeune Jean-Loup rêve, dans un premier temps, de devenir conducteur de camion. Mais le destin en a finalement décidé autrement, puisque à l’instar de son père, Marcel Dabadie – dont la plume illumina les discographies de Maurice Chevalier et des Frères Jacques – , Jean-Loup s’oriente à son tour rapidement, et tout naturellement, vers l’écriture.
Il signe son premier roman à l’âge de 19 ans, et embrasse conjointement une brillante carrière de journaliste, avant que viennent s’y ajouter de nouvelles fonctions : parolier, mais aussi signataire de sketches fameux, auteur et même metteur en scène dramatique. Jean-Loup Dabadie s’est, dès lors, frotté à diverses personnalités, de Guy Bedos à Julien Clerc, en passant par Michel Polnareff, Jean Gabin, Dalida, Michel Sardou, Barbara, Serge Reggiani ou Johnny Hallyday. De ses nombreux textes, on retient la rigueur, toujours constante, à laquelle se mêlent également une finesse d’esprit, et un talent des plus rares.
Talent qui le mène sur tous les fronts, y compris celui du 7ème Art, comme il l’explique en 2012 au journaliste Nicolas Schaller : « Mes articles, parfois divertissants, m’avaient valu d’être contacté par des producteurs pour écrire des films à sketches ou pour retaper anonymement des dialogues d’auteurs connus qui commençaient à tremper dans la fatigue ou dans le vin blanc. J’ai d’abord écrit un sketch, réalisé par Jacques Poitrenaud, pour Les Parisiennes. Une rencontre entre Darry Cowl et Dany Saval dans un taxi. »
Par la suite, quelques pointures de la Comédie à la française ont su exploiter pleinement la quintessence de ses textes, qu’il s’agisse de Philippe de Broca (La Poudre d’escampette, 1971), François Truffaut (Une belle fille comme moi, 1972), Claude Pinoteau (La Gifle, 1974), Jean-Paul Rappeneau (Le Sauvage, 1975), Georges Lautner (Attention, une femme peut en cacher une autre !, 1983), Jacques Monnet (Clara et les chics types, 1981), sans oublier Claude Sautet (Garçon ! 1983), et plus récemment Jean Becker (La Tête en friche en 2010, Bon rétablissement ! en 2013).
De sa rencontre avec Truffaut, Dabadie se souvient : « François était un grand copain de Philippe de Broca qui avait loué une maison à Cannes pour que l’on travaille sur La Poudre d’escampette. Il y avait là toute une bande : Phil de Broc’, Sautet, Cavalier, la Truffe… Truffaut connaissait bien mes chansons et il a eu cette idée que l’on écrive Une belle fille comme moi ensemble. Mais ce n’est vraiment pas mon film préféré. »
A contrario, la collaboration avec Yves Robert s’avère plus fructueuse. Tous deux s’associent une première fois en 1969, pour l’adaptation de la pièce Clérambard de Marcel Aymé – à laquelle Jean-Loup Dabadie reconnaît cependant n’avoir apporté qu’un « simple regard extérieur » – puis se retrouvent moins de quatre ans plus tard sur la création d’une œuvre originale, Salut l’artiste ! un brillant hommage s’adressant aux comédiens dit de « second plan », en compagnie de Marcello Mastroianni et Jean Rochefort. Las, à sa sortie, le film ne rencontre pas le succès qu’il mérite (578.702 entrées).
Cela n’empêche pas Jean-Loup Dabadie et Yves Robert de poursuivre leur alliance, laquelle finit par porter ses fruits, puisque l’apothéose est atteinte vers le milieu des années 1970 avec le diptyque composé d’Un éléphant ça trompe énormément (1976) et Nous irons tous au paradis (1977), ou les mésaventures cultissimes de quatre copains, Etienne, Daniel, Bouly et Simon (Jean Rochefort, Claude Brasseur, Victor Lanoux, Guy Bedos), entre joies, peines, mensonges, brouilles, bêtises enfantines et adultères éhontés. Une référence. De son origine, Jean-Loup Dabadie témoigne : « Un jour, on déjeune ensemble avec Yves, je lui parle du star-system, des Delon et Belmondo, je lui dis que je ne pourrais pas continuer dans ce métier avec ces acteurs-patrons qui arrivent sur le plateau en exigeant que la caméra soit sur eux, que l’on devrait faire un film avec de bons acteurs avec lesquels on aime manger, rigoler. Yves me dit : « Qui tu verrais parmi tes potes ? – Bedos, Brasseur. Et toi ? – Moi, j’ai mon cher Jean-Jean [Rochefort, ndlr]. » Je ne voulais pas refaire ce que j’avais écrit pour Claude Sautet dans Vincent, François, Paul et les autres autour la maison de campagne. Je cherche donc ce qui peut réunir quatre adultes d’une quarantaine d’années. La partie de cartes, ça avait déjà été fait. Je pense alors au tennis. Qu’y a-t-il de mieux pour retrouver l’enfance telle qu’on l’aime chez les hommes que d’avoir quatre garçons en culottes courtes ? On a proposé l’idée aux acteurs qui ont tout de suite dit oui. Puis je me suis mis au travail sur le scénario d’Un éléphant, ça trompe énormément. J’ai exagéré le côté petit bonhomme de Guy, le côté hautain de Jean, le côté populaire de Lanoux… Et, évidemment, savoir que mon personnage d’homosexuel serait joué par Brasseur, le plus baraqué de tous, m’a beaucoup aidé. »
À noter que le binôme compte deux autres productions à son palmarès, Courage fuyons (1979) et Le Bal des casse-pieds (1992), à la renommée certes moindre, pour autant non dénuées d’intérêt, ne serait-ce que pour leur casting respectif (Jean Rochefort et Catherine Deneuve pour l’un, Jean Rochefort, Miou-Miou, Claude Brasseur, Jacques Villeret, Victor Lanoux, Guy Bedos, Jean-Pierre Bacri, Jean Yanne, Patrick Timsit et Valérie Lemercier pour l’autre), et, à nouveau, une succession de répliques exceptionnelles. Le verbe de Dabadie est aussi indissociable du personnage inouï créé par Christophe Bourseiller, dans quatre films d’affilée : avec sa bouille ronde et binoclarde, ses cheveux frisés, son regard lunaire, Bourseiller donnait un relief unique aux répliques littéraires et décalées ciselées sur mesure par Jean-Loup-le-magnifique.
À propos de Jean-Loup Dabadie, Yves Robert racontait en 1996 dans ses mémoires, Un homme de joie (Flammarion) : « Ce qui nous a unis, c’est le rire. On a ri ensemble de tout et de rien, comme je n’avais jamais ri. Souvent, on essaie des dialogues qu’il vient d’écrire. Chacun sa partition et on se regarde droit dans les yeux, le fond des yeux : « Sincère, hein ! Je fais la femme… » Deux répliques et les yeux de Jean-Loup s’emplissent de grosses larmes de rire, qui coulent sur ses joues. Il se tord de rire. Je dis « tord », car il est vraiment plié en deux : « Allez, sérieux, ce coup-ci, Jean-Loup ! » Je donne le ton, amorce la réplique… Et déjà il pouffe, éclate. Tout recommence, les larmes, le corps plié en deux… Il en tombe à genoux par terre. Et moi aussi je ris, parce qu’il rit, et on n’en finit plus de rire. À l’inverse de Francis Veber, Jean-Loup est un animal à sang chaud. C’est un homme sensible, comme peut l’être une jolie femme. Mais avec une envie extraordinaire, physique, d’être, d’y aller, de foncer. Un mot de lui le définit bien, je trouve. Quand nous commençons à écrire Salut l’artiste ! il me dit : « César et Rosalie a marché magnifiquement, toi tu sors du succès du Grand Blond… Mais tu sais, on est acquittés, c’est tout. Ce qui voulait dire qu’on allait repasser au poteau d’exécution et qu’on y retournerait à chaque film. Ça, c’est la gravité de Jean-Loup, sa belle inquiétude, que souvent les gens ne voient pas bien. Ce que les autres lui reprochent parfois, ce sont pour moi ses qualités. Par exemple, son désarroi. Il est si soucieux de l’autre, de ses réactions. Ses yeux cherchent les vôtres, c’est chez lui une quête permanente. Dans ces dialogues, je m’efforçais de remplacer les mots par des points de suspension, des hésitations, des silences qui en disait autant. Jean-Loup ne supportait pas toujours très bien que je coupe ses répliques. C’était comme lui couper un membre. Alors je venais chez lui avec des roses, une par réplique coupée, parfois un petit bouquet ! Très vite, il a compris qu’un acteur peut d’un seul regard, dire, interroger, deviner. Et souvent, c’était Jean-Loup qui écrivait lui-même les points de suspension… Je lui dois beaucoup. Beaucoup de talent, car il m’en a donné… et tant et tant de joie. Je regrette Jean-Loup, notre complicité. Nous avions de vrais rapports de couple, un peu amoureux… ».
par Gilles Botineau
JEAN-LOUP DABADIE ET SA COLLABORATION AVEC PHILIPPE DE BROCA
Pour saluer la mémoire du grand Jean-Loup Dabadie, voici un extrait de l’une de ses ultimes interviews, réalisée en mars dernier par Stéphane Lerouge, où il évoquait sa collaboration en trois actes avec Philippe de Broca :
« Humainement, comment définir de Broca ? Dans ses premiers films comme Le Farceur avec Jean-Pierre Cassel ou L’Homme de Rio avec Belmondo, il y a un esprit bondissant, un charme juvénile que j’ai retrouvés à deux-cent-pour-cent dans la personnalité de Philippe. Car, à mes yeux, Broca était un gamin. De l’enfance, il avait toutes les qualités et les défauts, autant dans la drôlerie, la bouffonnerie que la cruauté. Après un rendez-vous manqué sur un film de pirates avorté, nous avons collaboré en 1970 pour l’adaptation d’un roman de Robert Beylen, La Route au soleil, aux ingrédients séduisants : l’exotisme, le décalage géographique et historique (la Libye de 1942), l’échappée belle. Avec le recul, les rapports de notre trio amoureux Michel Piccoli-Marlène Jobert-Michael York (une femme entre deux hommes) préfigurent peut-être ceux de César et Rosalie… En tout cas, le résultat (baptisé par mes soins La Poudre d’escampette) était de premier ordre. Avec son sens du tempo et des grands espaces, Philippe avait réussi le film tant sur le plan de la comédie, de l’aventure que de l’étude de mœurs. Du grand Fildebroc. L’expérience de La Poudre d’escampette, je l’ai d’autant appréciée qu’elle n’était pas gagnée d’avance. C’était officiellement le premier film de Philippe sans Daniel Boulanger et, à ses côtés, il avait pris des habitudes qui n’étaient pas du tout les miennes. Par exemple, si Broca retoquait un bout de dialogue, Boulanger couchait illico sur le papier une proposition alternative abondante. Ce type d’écriture automatique, j’en suis incapable. Au contraire, il me faut du temps pour mûrir mes idées, prendre du recul, laisser infuser les mots. Réfléchir, tout simplement. Philippe a accepté cette différence fondamentale. Au point que notre second film, Chère Louise, était déjà sur les rails à la sortie de La Poudre d’escampette, en septembre 1971. »
Lire aussi :
Un éléphant au paradis : secrets de tournages
Quand Jean-Loup Dabadie nous racontait « Un éléphant ça trompe énormément »
Bibliographie :
Conversations avec Jean-Loup de Jean-Loup et Véronique Dabadie (Le Cherche Midi, 2009)