« Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! » déclare un des protagonistes de Nous nous sommes tant aimés de l’Italien Ettore Scola.
Après trois collaborations cinématographiques fructueuses (Le Père Noël est une ordure, Papy fait de la résistance, Twist Again à Moscou), le duo Clavier-Poiré part à la recherche de nouvelles idées. La chanteuse et leader des Pretenders, Chrissie Hynde, avait fait partie, en 1973, du groupe de Jean-Marie Poiré, les Frenchies, puis l’avait quitté. En découvrant cette histoire, Christian Clavier propose à Poiré d’en faire un film. Ils définissent ainsi le sujet : comment réagiraient les membres du groupe si Chrissie Hynde revenait ? Marqués par le film de Scola, qui suit de 1945 à 1975 le destin de trois amis que la vie sépare puis réunit, ils en retiennent la trame et l’adaptent à leurs propres souvenirs de jeunesse pour en faire une comédie. L’histoire : à l’occasion du passage en France de Bernadette Legranbois, une vedette du rock qu’ils ont aimée autrefois, cinq copains quadragénaires se retrouvent le temps d’un week-end à la campagne. L’occasion de régler de vieux comptes.
À la toute fin des années 1960, Jean-Marie Poiré vit aux États-Unis, où il tourne notamment des films psychédéliques et érotiques en super-8. Critique new-yorkais influent, Jonas Mekas remarque les œuvres expérimentales du jeune hippie aux platform shoes à paillettes et l’écrit noir sur blanc dans le journal hebdomadaire The Village Voice, contribuant ainsi à la notoriété du jeune Poiré.
Ce sont ces films super-8, aujourd’hui disparus, qui ont été reconstitués à l’identique dans Mes meilleurs copains. Après son escapade américaine où il côtoie le groupe glam-rock The New York Dolls, Poiré rentre en France au début des années 1970 et monte son propre band : les Frenchies. Il est alors débauché par un producteur de United Artists, qui le lance en solo sous le nom de Martin Dune. Tant pis pour le groupe… et tant pis pour lui puisque le disque fait un bide !
Dans Mes meilleurs copains, Bernadette Legranbois est débauchée par le producteur Lou Bill Baker qui, bien entendu, veut se passer du groupe. Un peu plus de dix ans après la réussite d’Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, Clavier et Poiré posent à leur tour un regard nostalgique et drôle sur leur propre passé à travers cinq personnages masculins qui, au contact de la femme qui a marqué leur jeunesse, révèlent leurs failles secrètes et règlent leurs comptes. « Je suis allé voir Christian Fechner, se souvient Poiré, et je lui ai dit : “On va faire un film avec Christian Clavier, Gérard Lanvin et Bette Midler… le tout en anglais !” ».
Le producteur refuse un film en anglais et suggère Diane Dufresne. Les deux scénaristes se rendent chez la chanteuse québécoise, qui habite au-dessus d’une station-service dans la banlieue ouvrière de Montréal. « En la voyant avec une voilette comme celle de ma grand-mère, on s’est dit que ça ne fonctionnerait pas. » Après un casting montréalais, Louise Portal est finalement engagée.
Initialement, le rôle de Guido était écrit pour Thierry Lhermitte, et celui de Dany pour Michel Blanc. Suite aux refus des deux membres du Splendid, Jean-Pierre Bacri devient Guido, et après avoir longtemps hésité entre Patrick Bouchitey et Gilles Gaston-Dreyfus, le réalisateur choisit Jean-Pierre Darroussin pour interpréter l’homme au perfecto : « Je ne voulais pas me tromper sur ce rôle car c’était mon préféré. » Le personnage est inspiré de Mimiche de Montreuil (guitariste solo des Frenchies) pour sa dégaine de rocker, et de Moustique (photographe de plateau sur Twist Again à Moscou) pour son côté lunaire et sa façon de parler. « Moustique est une des personnes qui m’ont fait le plus rire dans ma vie, raconte Poiré. En vérité, Dany est le rôle principal, car c’est lui qui a la philosophie du film à la fin : “Faut pas vous biler les gars, je serais jamais parti sans vous” ».
Le film ne disposant que d’un petit budget, le tournage s’avère éprouvant. Le réalisateur n’aime pas la maison construite sur un marais, le climat est épouvantable et l’équipe s’enfonce jusqu’à mi-cuisse dans la boue du jardin. Sur le plateau, des clans se forment. Gérard Lanvin est le seul à avoir une caravane. « C’était la star, raconte le cinéaste. Jean-Pierre Bacri et Jean-Pierre Darroussin passaient leur vie dans sa caravane et étaient un peu à part du reste de l’équipe. »
Le chef opérateur devient soudainement caractériel et le cadreur est tellement mauvais que Poiré prend sa place. « J’ai eu aussi un clash avec Bacri parce qu’il ne jouait pas exactement comme j’avais envisagé, alors qu’il avait été génial à la première lecture. Je l’ai engueulé publiquement, je le regrette, et je m’en excuse auprès de lui. J’étais producteur pour la première fois, j’avais mis tout mon argent dans ce film, pour moi l’enjeu était terrible. »
Le cinéaste filme néanmoins avec amusement cette joyeuse troupe qui ressasse ses souvenirs d’espoir et d’insouciance. Pour la scène hilarante de théâtre de rue engagé, Poiré mélange les gestes ridicules des pièces de Marc’O avec les poèmes grotesques de Diane di Prima, poétesse américaine révolutionnaire gauchiste. À l’heure du bilan dans la maison de campagne de Richard, les personnages s’affrontent à coup de répliques cinglantes. La bande-son alterne les classiques du rock (Walk on the Wild Side de Lou Reed, With a Little Help from My Friends interprétée par Joe Cocker), avec des compositions de Michel Goglat et de Poiré lui-même (Révolution).
À sa sortie le 1 mars 1989, le film est un échec commercial, n’attirant que 358.394 spectateurs au total. Jean-Marie Poiré en est très affecté : « J’avais mis tout mon argent dans ce film et comme il n’a pas marché, ça a été un désastre pour moi. Je n’ai pas tourné pendant deux ans après ce film. » Le cinéaste se lance par la suite avec Christian Clavier dans une série de comédies d’aventures, très loin de l’intimisme de Mes meilleurs copains ou de son premier film, Les Petits Câlins (1978). Il faudra attendre les rediffusions cathodiques pour que le public redécouvre le film et l’aime. Aujourd’hui, les dialogues sont connus par cœur, comme ceux des Bronzés, des Bronzés font du ski ou du Père Noël est une ordure, et le mythique “Y’a pas mort d’homme” prononcé par Jean-Pierre Darroussin/Dany est entré dans le langage courant.
BONUS
En 1986, Jean-Marie Poiré attend avec impatience le droit d’utiliser Walk on the Wild Side de Lou Reed dans Mes meilleurs copains. Au moment du mixage, il n’a toujours pas les droits du titre. Il demande alors à son compositeur Michel Goglat de lui écrire un morceau « à la manière de » qui évoque cette chanson. Poiré écrit quelques paroles et la chante lui-même. Puis les droits de Lou Reed arrivent finalement, et le réalisateur intègre au film ce titre que tout le monde adore. Intitulé Let’s go to Rome, le morceau composé en succédané passe à la trappe. Merci à Jean-Marie Poiré, grâce à qui ce titre non terminé et court, conforme à la durée de la séquence du film, est enfin disponible :
par Jérémie Imbert
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Retrouvez également d’autres chansons écrites et interprétées par Jean-Marie Poiré alias Martin Dune sur sa chaîne YouTube
Site officiel de Jean-Marie Poiré ici