Lorsque Robert Lamoureux s’attèle au tournage de son troisième long-métrage en tant que réalisateur, Mais où est donc passée la 7ème Compagnie (1973), après Ravissante et La Brune que voilà, tous deux sortis treize ans auparavant, il ne s’imagine pas un instant ce qui l’attend, aussi bien sur le plateau, qu’au-delà… Ses soldats non plus, d’ailleurs ! En voici l’histoire et divers secrets. Restez groupiiir !!
Robert Lamoureux ne s’en est jamais caché, le Septième Art l’ennuie profondément : « Acteur, la caméra, la technique me paralysent. Encore plus l’absence de public. Le cinéma est un art qui me restera étranger. Au-dessus de mes moyens. (…) Je tourne parce que cela me rapporte, mais chaque film m’est une corvée. » La mise en scène cinématographique ne l’excite pas davantage. Il préfère, et de loin, l’atmosphère des cabarets ou des théâtres. Mais une idée l’obnubile depuis un certain temps, et il la développe par écrit. Le thème : les mésaventures – cocasses – de deux soldats et de leur sergent-chef, au service de l’armée française, perdus en pleine nature, lors de la débâcle de juin 1940. Difficilement transposable sur les planches. Il en parle au producteur Alain Poiré, qui, par chance, trouve le sujet « tordant. » Dans la foulée, Jean Lefebvre et Pierre Mondy, envisagés pour tenir le haut d’une éventuelle future affiche, sont conviés à une lecture du script. Tout le monde est emballé. Par l’intrigue. Les situations. Et même, les répliques, succinctes quoique efficaces : « Un p’tit bain pour le chef ! », « Bonne nuit le balais ! », « Fous affez du à l’ail ? », « J’ai glissé, chef ! », sublimées in fine par leurs interprètes respectifs. Aldo Maccione, Pierre Tornade, Erik Colin, Robert Dalban et Alain Doutey complètent le casting. Aucune vedette, juste d’excellents comédiens. Tel est le souhait de Lamoureux.
La production accorde au film le budget d’un « court-métrage » – selon les propres termes de Robert Lamoureux – dont une bonne partie sert à payer les quatre assistants (!) qui entourent le cinéaste. Il est vrai que l’homme manque d’instruction sur le plan technique : « Je m’en tiens à « plus loin », « plus près », « plus gros », « moins gros. » Les techniciens traduisent ensuite comme ils peuvent. Les travellings et autres contre-plongées étant laissés à la fantaisie du cameraman. » Il n’empêche, le réalisateur sait ce qu’il veut, et l’obtient toujours, de gré ou de force, poussant l’équipe à une assiduité totale. Mais cette exigence, cette rigueur dans le travail – parfaitement justifiée – ne sied guère à ses acteurs principaux, qui, en retour, pour se détendre, n’en font parfois qu’à leur tête. Jean Lefebvre, notamment, a la fâcheuse habitude de passer la plupart de ses nuits au casino, ou, simplement, en gracieuse compagnie, et ce, après avoir usé de ses charmes légendaires. Ce qui, dans tous les cas, lui vaut des retards carabinés les lendemains matins, arrivant à midi au lieu de neuf heures, armé d’excuses bidon : « J’ai failli avoir un accident mortel… »
Aldo Maccione, lui, aime faire le pitre, et cherche constamment à distraire ses camarades. « La Classe » le démange… Lamoureux n’apprécie pas beaucoup cela, et le lui fait régulièrement comprendre : « Hé ! Attention, c’est du sérieux, ici… » Résultat : un jour, Aldo, peu enclin à supporter de tels rappels à l’ordre, s’enfuit littéralement, l’uniforme sur les épaules. Il parcourt plusieurs kilomètres en rase campagne, avant d’atterrir dans un troquet, au beau milieu d’une bourgade isolée, et d’appeler Alain Poiré à la rescousse. De mémoire de producteur, celui-ci avouera n’avoir vu ça qu’une seule fois dans sa vie. Lamoureux ne s’en offusque pas outre-mesure, considérant l’artiste italien comme un « gros bébé », dont les caprices durent en définitive juste le temps d’un « jus de fruits. » Lefebvre précise : « Lamoureux est un homme qui a beaucoup de talent mais qui est aussi très connu pour son fichu caractère. Très, très difficile. Mais si la personne qu’il a engueulée se vexe et se fâche avec lui, Robert va avoir une peine énorme… C’est un grand sentimental, en somme. »
Tournage Où est donc passée la 7ème Compagnie / JT 20H – 31 juil. 1973
Surtout, le cinéaste ne s’énerve que rarement. Autoritaire, oui. Directif, également, Colérique, non. Il a en plus un sens inné de la formule, et en use à bon escient. Lorsque, agacé, il tient à faire passer un message – quel qu’il soit – à son interlocuteur, il commence sa phrase par un : « Mon lapin. » Lefebvre, Mondy et Maccione s’en amusent. Le soir, chacun comptabilise le nombre de « Mon lapin » obtenus dans la journée, et à ce petit jeu, Jean se révèle être généralement vainqueur loin devant. Bref, derrière la sévérité du Maître, une ambiance bon enfant émerge, si bien que l’énergie et la bonne humeur demeurent constantes tout le tournage durant : « Nous tournons dans les bois, dans les champs, c’est l’été et il fait invariablement beau », se souviendra, avec nostalgie, Robert Lamoureux.
À sa sortie, le 13 décembre 1973, Mais où est donc passée la 7ème Compagnie remporte un succès certain, qui plus est progressif, en dépit de critiques assassines, ainsi que d’un soutien très léger de la part de Gaumont, et termine sa course à près de quatre millions d’entrées ! Mieux, le long-métrage se classe troisième au box-office annuel, juste derrière Les Aventures de Rabbi Jacob et Mon nom est Personne. Une heureuse surprise.
Naturellement, une suite est sitôt imaginée. En d’autres termes, on prend les mêmes et on recommence. Ou presque. Aldo Maccione quitte le navire. En coulisse, l’acteur demande à ce que son cachet soit réévalué. Les négociations échouent. Henri Guybet, encore « jeune débutant » issu du Café de la Gare – et donc nettement moins gourmand – le remplace, sans stress : « J’étais persuadé de tourner la bidasserie annuelle… D’autant plus que c’était le numéro deux ! On en a vu des suites faire des bides… Si j’avais pu imaginer… C’est seulement le jour où on a tourné la scène des matelas que j’ai commencé à prendre conscience du potentiel de ce film. Là, je me suis dit : ça va peut-être bon, quand même ! » Néanmoins, et à l’instar d’Aldo, Henri galère au départ à s’acclimater au style Lamoureux. Excessivement attaché à la musicalité de son texte, ce dernier, décidément éternel insatisfait, l’amène dès son premier jour de tournage à répéter trente-cinq fois une réplique pourtant anodine : « Pas capitaine, commandant ! » Guybet s’y plie, d’abord patient, puis, lassé et à bout de force, l’interpelle soudainement : « Si quelque-chose ne va pas, Robert, dis-le tout de suite. On se quitte maintenant, je ne te ferai pas de procès. Mais si tu m’emmerdes comme ça, ça va pas aller… » Un « Mon lapin » s’en suit, et tout rentre dans l’ordre, sous le regard hilare de Mondy et Lefebvre.
Tournage Le Retour de la 7ème Compagnie / JT FR3 Bourgogne – 26 sept. 1975
Eux connaissent déjà la musique, et rempilent avec un plaisir non dissimulé, immédiatement séduits par ce deuxième scénario, désormais écrit à quatre mains, celles de Lamoureux et de Jean-Marie Poiré, fils du grand patron. Une excellente recrue : l’intrigue gagne en drôlerie, en rebondissements et en action. Le tournage s’en ressent, et Robert Lamoureux ne fait aucun cadeau à ses acteurs. Certains allant jusqu’à risquer leur vie, comme en témoigne Jean Lefebvre : « Robert avait eu une idée de génie. Il nous faisait nous cacher dans une grande roue de moulin. Pour les besoins du film, on a donc remis un moulin à eau en route. Il avait une roue splendide, ancienne… Les comédiens étaient attachés à la roue et celle-ci tournait. Évidemment, lorsque nous arrivions en bas, nous plongions dans l’eau puis nous remontions. Inévitablement, à mon tour, la roue s’est bloquée et je me suis retrouvée la tête dans l’eau, dans l’incapacité de la lever pour respirer. J’ai vu ma dernière heure arriver. Je suffoquais. Je paniquais. J’ai été délivré à l’extrême dernière minute par des plongeurs sous-marins qui sont venus me détacher. » Et ce n’est qu’un préambule.
À chaque jour, son problème. La scène où une vache se retrouve enlisée dans une flaque de boue provoque l’indignation au sein de l’équipe. Personne ne veut être coupable de ça. Il convient de simplifier, et sécuriser, la mise en place au max. Plus tard, une grève d’une semaine, menée par les techniciens, ralentit fortement le plan de travail prévu lors de la séquence finale, située aux abords d’une voie ferrée. Mais rien n’arrête Lamoureux, et On a retrouvé la 7ème Compagnie ! – anciennement intitulé Le Retour de la 7ème Compagnie – sort presque deux ans jour pour jour après l’original. Le métrage poursuit en toute logique l’intrigue amorcée, et réalise un score plus ou moins équivalent : trois millions sept cent quarante mille spectateurs et des poussières. La formule marche à plein régime !
Jamais deux sans trois ? Qu’à cela ne tienne ! L’équipe signe pour de nouvelles péripéties, résumées sous le titre La 7ème Compagnie au clair de lune. Comme d’habitude, le rendez-vous est fixé à dans deux ans. D’ici là, quelques innovations sont opérées : les contrats de Pierre Tornade, Erik Colin et Robert Dalban ne sont pas renouvelés. En contrepartie, Gérard Hérold, André Pousse, Jean Carmet, Gérard Jugnot (qui souffre à son tour de la fermeté du réalisateur) rejoignent la troupe. Côté cadre, Robert Lamoureux et Jean-Marie Poiré – on ne change pas une équipe qui gagne – optent pour un (léger) bond dans le temps : exit la débâcle de 1940, place à la Résistance de 1942.
Malgré cela, l’essoufflement est palpable. La machinerie ronronne. Seul Henri Guybet se régale inlassablement à chaque « Moteur ! » lancé par Robert. Un matin, André Pousse, pressé d’aller déjeuner, accélère la cadence : une prise de vue où il est censé donner une gifle à son partenaire, Jean-François Derec, ne convainc pas assez le metteur en scène. Ni une, ni deux, à la suivante, Pousse frappe réellement le pauvre Derec. Emballé, c’est pesé !
Lorsque le film est dévoilé à la presse, Le Canard enchaîné résume le tout : « À ne voir sous aucun prétexte. » Un avis plutôt dur… mais influent : à l’arrivée, ce troisième volet ne dépasse même pas les deux millions d’entrées, et atteint péniblement la douzième place du box-office de l’année 1977. Robert Lamoureux n’insistera pas. Il résiste même aux avances appuyées de Marcel Dassault – producteur des deux derniers épisodes – qui, pour sa part, rêve d’un quatrième opus, par exemple : La Septième Compagnie contre Frankenstein ! Lamoureux refuse poliment. Un choix judicieux : cela aurait été, sans nul doute, la glissade de trop.
par Gilles Botineau
Sources
J’aurais pu faire pire de Henri Guybet (Jean-Claude Gawsewitch éditeur)
Robert Lamoureux, Par trente-six chemins (Plon)
Jean Lefebvre, Pourquoi ça n’arrive qu’à moi (Michel Lafon/Carrere)
Pierre Mondy, La Cage aux souvenirs (Plon)
Alain Poiré, 200 films au soleil (Ramsay)
André Pousse, Touchez pas aux souvenirs (Robert Laffont)
Aldo Maccione – La classe ! de Gilles Botineau (Christian Navarro éditions)
Les Comédies à la française de Christophe Geudin et Jérémie Imbert (Fetjaine)