Burt Kwouk nous a quittés le 24 mai 2016 à l’âge de 85 ans et restera dans la mémoire collective comme l’interprète de Cato, le domestique de l’inspecteur Clouseau dans la série des Panthère rose. Comment, d’ailleurs, ne pas s’en souvenir ? Chargé d’attaquer son maître dès qu’il rentre chez lui, afin de lui faire conserver ses réflexes intacts, il s’exécute avec zèle et l’appartement du policier devient un vrai champ de bataille.
J’ai consacré un livre à la saga de la Panthère rose en 2005 et j’ai pu à cette occasion discuter avec Burt Kwouk par téléphone. Un homme charmant, qui m’a raconté ces tournages épiques et, admettait-il, « stressants » avec Blake Edwards et Peter Sellers. Mais tout de même, lui ai-je demandé, vous qui avez tourné avec Spielberg (L’Empire du soleil), avec Anthony Quinn (Les Souliers de Saint-Pierre), qui êtes apparu dans les plus grandes séries télé britanniques (Destination danger, Chapeau melon et bottes de cuir, Le Saint, Docteur Who…), mais aussi dans deux James Bond la même année (Casino Royale et On ne vit que deux fois en 1967), cela vous ne embête pas que l’on se souvienne de vous uniquement pour le rôle de Cato ?
« Non. » Et d’ajouter avec humour : « J’aime beaucoup Cato. C’est un bon ami. Il ne me doit pas d’argent, on ne s’est jamais disputé, il fait ce que je lui dis de faire. »
Une icône du cinéma comique
Burt Kwouk savait la chance qu’il avait eu de rencontrer ce personnage sur sa route. Être un bon acteur de second plan est une chose mais marquer les esprits grâce à des apparitions régulières dans des films au succès mondial en est une autre. Et les scènes entre Clouseau et Cato étaient aussi attendues que celles entre James Bond et Q. Qu’allaient-ils inventer cette fois-ci ? Quelles trouvailles burlesques allaient-ils mettre au point ?
À l’origine, pourtant, Cato n’est pas destiné à devenir une icône du cinéma comique, ni d’ailleurs Clouseau. Peter Sellers a en quelque sorte pris le pouvoir sur La Panthère rose au détriment de la vedette du film, David Niven, et n’aurait jamais dû reprendre le rôle de l’inspecteur gaffeur si Blake Edwards n’en avait eu l’idée pour se motiver à tourner A shot in the dark, une adaptation d’une pièce de Marcel Achard. Intitulé en français Quand l’inspecteur s’emmêle, le film est centré sur Clouseau et l’on imagine autour de lui le commissaire Dreyfus, son supérieur et pire ennemi, et le fidèle domestique Cato Fong.
À l’automne 1963, Burt Kwouk reçoit un coup de téléphone. « On m’a demandé si je pouvais me rendre au studio pour rencontrer Blake Edwards. Nous avons parlé pendant vingt minutes, pas du film mais de sujets divers. Il m’a donné le script et j’ai eu le rôle. » Cato attaque Clouseau dans son lit (même quand il est en galante compagnie) ou dans sa baignoire, et son acharnement au travail n’est interrompu que par la sonnerie du téléphone. Et voilà ! Il n’est pas question de suite ou d’imaginer une série.
Kung-fu Cato
Mais après quelques années difficiles pour Blake Edwards et Peter Sellers, les voilà quasiment contraints de tourner en 1974 Le Retour de la panthère rose. Et Burt Kwouk rempile. En pleine époque de films « kung-fu », le retour de Cato s’imposait. Les cris et les postures de Bruce Lee sont clairement parodiées. Couronné de succès, ce retour de l’inspecteur Clouseau entraîne des suites, Quand la panthère rose s’emmêle (1976) et La Malédiction de la Panthère rose (1978). Et Blake Edwards décide à chaque fois d’aller encore plus loin que dans le film précédent et de jouer la carte de l’excès et de l’absurde. Cato se cache dans le frigo ou au-dessus du lit à baldaquin, les deux hommes passent à travers le plancher, etc.
Tout ce non-sens était improvisé sur le plateau, m’a précisé Burt Kwouk. « Il est presque impossible de scénariser une bagarre. Vous pouvez écrire : « Cato se cache. Clouseau entre. Cato sort du réfrigérateur et surprend Clouseau. Ils se battent. » Vous pouvez scénariser la sortie de Cato du frigo mais le reste de la bagarre doit être faite sur le plateau. C’est à ce moment que l’on peut parler d’improvisation. » Le défi était donc de se renouveler. « C’était toujours difficile de trouver de nouveaux gags dans chaque film. D’autant qu’à l’époque, nos bagarres étaient vraies. Nous ne bénéficions pas de ces fabuleux effets spéciaux d’aujourd’hui et nous nous battions de façon réaliste. »
Burt Kwouk sera aussi de L’Héritier de la panthère rose (1983) avec Ted Wass et du Fils de la panthère rose (1993) avec Roberto Benigni. « Je ne pense pas que cela fonctionnait réellement. Les films n’ont d’ailleurs pas eu beaucoup de succès. Cela ne met pas en cause les deux acteurs. » Et de conclure, philosophe : « Je ne sais pas pourquoi un film fonctionne, ni pourquoi un film ne fonctionne pas. »
par Philippe Lombard
[Ultime hommage. J’ai montré les Panthère rose à mes enfants, et je vois un jour un de mes fils, de 5 ou 6 ans, avancer avec précaution dans l’appartement comme s’il cherchait quelque chose. « Qu’est-ce que tu cherches ? », je lui demande. « Cato », me répond-il…]