Stanley Donen ne chantera plus sous la pluie. Le réalisateur et producteur américain, dernier survivant de l’Âge d’or d’Hollywood, vient de nous quitter le 21 février 2019 à l’âge de 94 ans.
Maître incontesté de la comédie, qu’elle soit musicale ou non, Stanley Donen laisse au public un héritage cinématographique considérable dont le point d’orgue se situe en 1952 lorsque Gene Kelly bondit avec élégance sur un réverbère, défiant les nuages pour chanter au monde entier son amour à Kathy Selden (Debbie Reynolds) dans une scène mythique, sans doute la plus jouissive de toute l’histoire du cinéma !
Danseur depuis ses dix ans, Stanley Donen se passionne pour les comédies musicales avec Fred Astaire. Â l’âge de 16 ans, sur les planches de Broadway où il partage avec Gene Kelly l’affiche de la comédie musicale Pal Joey, il noue une amitié avec le célèbre danseur et chorégraphe. Les deux hommes se retrouvent quelques années plus tard et Donen devient l’assistant chorégraphe de Gene Kelly sur La Reine de Broadway (Cover Girl, 1944) de Charles Vidor, le succès du film le propulsant chorégraphe au sein de la célèbre Columbia Pictures.
De son esprit novateur naît l’idée de faire danser Gene Kelly avec la célèbre souris du dessin animé Tom & Jerry. Tournée en deux mois, la séquence est une prouesse technique réalisée par Fred Quimby assisté du duo Hanna et Barbera pour le film de George Sidney Escale à Hollywood (Anchors Aweigh, 1945). La confiance du studio est totalement établie avec Donen, dont le perfectionnisme le pousse à fignoler la séquence image par image durant une année entière.
La MGM lui confie alors la réalisation de son premier film : Un jour à New York (On the Town, 1949). Le tout jeune réalisateur fête ses 25 ans durant le tournage ! Sans le savoir, Donen innove une fois de plus puisque, contrairement aux productions tournées en studio, il filme Gene Kelly, Frank Sinatra et Jules Munshin dansant réellement à travers New York. Donen est un précurseur puisque le tournage en décors naturels se généralisera dix ans plus tard sous l’impulsion de la Nouvelle Vague.
En 1951, l’imagination plus que fertile du metteur en scène et chorégraphe le pousse à faire danser son idole de jeunesse Fred Astaire sur les murs et le plafond de sa chambre d’hôtel. Tournée en une demi-journée, cette séquence inoubliable de Mariage royal (Royal Wedding) ne contenant aucun plan truqué entre au panthéon des numéros musicaux les plus célèbres de l’histoire du cinéma.
27 mars 1952. Première new-yorkaise de Chantons sous la pluie (Singin’ in the Rain). À 28 ans, Stanley Donen réalise avec Gene Kelly un chef d’œuvre où numéros musicaux et scènes de pure comédie s’entremêlent avec une fluidité et une puissance toujours intactes près de 70 ans après.
Dans les années 1950, Donen poursuit son travail de metteur en scène de comédies musicales. En 1954, il réalise Les Sept femmes de Barberousse (Seven Brides for Seven Brothers), une production à petit budget qui le prive d’un tournage en décors naturels. On y retient une longue séquence de fête aux danses très acrobatiques.
Dans un entretien de 1969 avec Bertrand Tavernier, le cinéaste prétend détester tous ses films des années 1950 à part certaines séquences de certains d’entre eux. Échec artistique et financier, Beau fixe sur New York (It’s Always Fair Weather, 1955) marque la dernière collaboration entre Stanley Donen et Gene Kelly. En 1975, Donen déclare : « À ce moment-là, je n’avais vraiment aucune envie de diriger un film avec Kelly. Nous ne nous entendions plus et Kelly ne s’entendait plus avec personne. Ce fut le seul film durant lequel l’atmosphère fut vraiment horrible. Nous nous disputions du début jusqu’à la fin. La seule chose que je peux dire est que ce fut un cauchemar total. »
Alors que les comédies musicales lassent peu à peu le public et Donen lui-même, il quitte la MGM et devient réalisateur indépendant. En 1957, il retrouve Fred Astaire dans Drôle de frimousse (Funny Face), une comédie romantique et musicale avec Audrey Hepburn, puis il dirige Doris Day dans Pique-nique en pyjama (The Pajama Game, 1957). Sa carrière de metteur en scène prend alors un tournant vers la comédie romantique, et il confie à Cary Grant le premier rôle masculin dans Embrasse-la pour moi (Kiss Them for Me, 1957) avec Jayne Mansfield, Indiscret (Indiscreet, 1958) avec Ingrid Bergman, Ailleurs l’herbe est plus verte (The Grass Is Greener, 1960) avec Deborah Kerr et Robert Mitchum, et enfin Charade (1963) où il y retrouve Audrey Hepburn.
Les années 1960 marquent également le départ de Stanley Donen pour l’Angleterre où sa filmographie s’étoffe de quelques titres incontournables. Outre Cary Grant, il dirige Yul Brynner dans Chérie recommençons (Once More, with Feeling!) et Un cadeau pour le patron (Surprise Package), deux comédies sorties en 1960. Après Arabesque avec Gregory Peck et Sophia Loren, Donen retrouve pour la troisième et ultime fois Audrey Hepburn aux côtés d’Albert Finney dans le film dont il est le plus fier, Voyage à deux (Two for the Road), mis en musique par Henry Mancini, et pour lequel il obtient la coquille d’or au festival de San Sebastian 1967.
L’année suivante, il met en scène un scénario écrit par le duo comique Peter Cook & Dudley Moore – plus connus au Royaume-Uni sous leur nom de scène Pete N’ Dude – dans Fantasmes (Bedazzled), une comédie fantastique et satirique revisitant le mythe de Faust avec une irrévérence dont le duo britannique a le secret. « Savez-vous ce que Sam Goldwyn donnait comme définition de la satire ? « La satire est une comédie dont le public ne rit pas ». Moi, j’adore la satire », confiait Stanley Donen à Bertrand Tavernier en 1969. « Tous mes films ou presque sont une satire de quelque chose, de quelqu’un, d’un mode de vie, d’une façon de concevoir l’art. Cela m’empêche de tomber dans le sentimentalisme. Je déteste la sentimentalité. » Souvent considéré comme son film le plus abouti, y compris par Stanley Donen lui-même, Fantasmes inspirera Harold Ramis en 2000 pour son film Endiablé (Bedazzled) avec Brendan Fraser et Elizabeth Hurley.
Après la comédie romantique L’Escalier (Staircase, 1969) avec Rex Harrison et Richard Burton, Stanley Donen réalise Le Petit Prince (The Little Prince, 1974), une adaptation fantastique et musicale du classique de Saint-Exupéry avec Bob Fosse dans le rôle du serpent et Gene Wilder dans celui du renard. Puis il aborde la comédie policière avec Les Aventuriers du Lucky Lady (Lucky Lady, 1975) mettant en scène le trio Gene Hackman / Liza Minnelli / Burt Reynolds. Son dernier long-métrage intitulé C’est la faute à Rio (Blame It on Rio, 1984) est un remake du film de Claude Berri Un moment d’égarement, les personnages du film original incarnés par Jean-Pierre Marielle, Victor Lanoux, Agnès Soral et Christine Dejoux étant remplacés respectivement par Michael Caine, Joseph Bologna, Michelle Johnson et Demi Moore.
En 1998, il reçoit des mains de Martin Scorsese un Oscar d’honneur qui vient enfin récompenser une œuvre marquée par la grâce, l’élégance, l’esprit et l’innovation visuelle. Après avoir remercié le metteur en scène de Taxi Driver, Donen entonne le classique d’Irving Berlin Cheek To Cheek, offre quelques pas de claquettes à une assemblée conquise, et dévoile le secret pour être un bon metteur en scène.
« For me directing is like having sex: when it’s good, it’s very good; but when it’s bad, it’s still good. »
(« Pour moi, tourner des films c’est comme faire l’amour : quand c’est bien, c’est très bien ;
mais quand c’est pas terrible, c’est bien quand même. ») Stanley Donen
par Jérémie Imbert