Célèbre cascadeur dont le nom est associé aussi bien à la série des « Gendarme de Saint-Tropez » qu’à Belmondo ou à James Bond, Rémy Julienne nous a quittés le 21 janvier 2021 à l’âge de 90 ans.
Rémy Julienne n’était pas destiné à la cascade. À tenir un volant ou un guidon, oui, mais dans d’autres secteurs que le cinéma. Chauffeur de poids lourds dans l’entreprise de transports de son père qui espère le voir prendre sa suite, il est aussi féru de moto-cross, qu’il pratique en compétiteur. Champion de France en 1957, il parcourt l’Europe jusqu’en 1966 et plus de cent victoires viennent enrichir son palmarès. En 1964, un événement va bouleverser sa vie. « (Le cascadeur) Gil Delamare a eu besoin d’un bon pilote moto tous terrains pour doubler Jean Marais dans Fantômas et il s’est adressé à un journaliste spécialisé, qui lui a indiqué plusieurs noms de coureurs. Je faisais partie du lot et il se trouve que j’ai fait l’affaire. » Premier film : une comédie ! On peut même dire une comédie d’action, genre dans lequel il excellera.
Toujours à la demande de Gil Delamare (qui se tuera en 1966 sur le tournage du Saint prend l’affût), Julienne prend à nouveau la place de Jean Marais dans Le Gentleman de Cocody puis est un des motards allemands qui se prend une citrouille lancée par Bourvil et De Funès sur les routes de Bourgogne dans La Grande Vadrouille.
Sur Le Grand Restaurant de Jacques Besnard, en 1966, il est chargé de la séquence où la voiture de Septime se retrouve dans la Seine. « Pour la première fois, je construisais quelque chose pour le cinéma. Mon idée était d’équiper une barque avec une carrosserie de DS, le tout propulsé par un moteur caché sous la carrosserie. »
La « cascade-gag » va quasiment devenir sa marque de fabrique quand il sera en charge seul des séquences d’action à partir de la décennie suivante. Et il fera souvent preuve d’une grande imagination : la voiture coupée en deux dans le sens de la largeur (L’Homme aux nerfs d’acier) ou de la longueur (Pas de problème !) qui continue d’avancer, la moto side-car qui perd sa roue latérale (Le Gendarme se marie), la Mercedes sans pneus qui roule sur une voie ferrée (Octopussy)…
Certaines idées lui sont inspirées par des situations vécues. Ainsi, en se rendant un matin sur le tournage du Pacha de Georges Lautner (1968), Julienne ne voit pas un passage à niveau et, freinant au dernier moment, se couche pour ne pas se faire décapiter… contrairement à la voiture, dont le pare-brise et le toit sont arrachés d’un coup. Ce qui aurait pu lui coûter la vie deviendra un gag dans plusieurs films : Le Gendarme se marie, Le Gendarme et les gendarmettes, Dangereusement vôtre…
Lautner se souvient aussi d’une histoire racontée par Julienne. Il remontait un soir les Champs-Élysées au volant d’une DS (destinée à être détruite le lendemain pour les besoins d’une scène de Elle cause plus… elle flingue de Michel Audiard, détail qui a son importance), « quand une voiture lui avait fait une queue de poisson. Le conducteur en avait remis plusieurs couches jusqu’à ce que Rémy explose. Et, pourtant, il en fallait vraiment beaucoup pour le faire sortir de ses gonds. En tout cas, ce conducteur inconscient l’avait vraiment cherché. Rémy l’a poursuivi, accrochant méthodiquement sa voiture, lui arrachant les ailes, l’une après l’autre, pour en arriver à la désosser ! » Cette anecdote convaincra le réalisateur de reproduire la séquence dans Quelques messieurs trop tranquilles (1972), où une ambulance démantèle méthodiquement une DS sur des routes de campagne !
Un an après son travail sur Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury, Rémy Julienne est engagé par le célèbre duo comique italien Terence Hill/Bud Spencer pour régler les cascades de Attention, on va s’fâcher ! avant de retrouver le duo cinq ans plus tard sur Cul et chemise.
Après une série de polars et de films d’action (Cité de la violence, L’Agression, French Connection II, Peur sur la ville, Le Gitan…), Rémy Julienne retrouve la comédie et… se déchaîne ! Il organise des accident-fleuves impliquant plusieurs dizaines de voitures dans Bons Baisers de Hong Kong (1975) de Yvan Chiffre, une parodie de James Bond avec les Charlots, et La Carapate (1978) de Gérard Oury. Il descend les escaliers du Sacré-cœur à deux reprises, dans L’Animal (1977) de Claude Zidi et La Malédiction de la Panthère rose (1978) de Blake Edwards – mais cette dernière sera coupée au montage.
Fidèle collaborateur de Claude Zidi depuis Le Grand bazar en 1973, il retrouve le cinéaste pour la quatrième et dernière fois en 1980 sur Inspecteur La Bavure avec Coluche.
Sur le tournage de Inspecteur La Bavure – Féminin présent – 16 septembre 1980
À partir de 1979, il collabore aux films à succès du trio Belmondo-Lautner-Audiard : Flic ou voyou, Le Guignolo, Le Professionnel… Ce pourrait être un quatuor si le dialoguiste ne mettait pas son holà. Son co-scénariste Jean Herman se souvient en effet qu’ils ont un jour été « convoqués pour réécrire une scène à partir de la trame d’une cascade réglée par Rémy Julienne. Je peux vous dire qu’Audiard a rué dans les brancards. Il a mis son veto au caprice de Jean-Paul… »
Rémy Julienne a donné ses lettres de noblesse à la cascade, imposant une sécurité maximale (peu répandue avant lui) et développant un style unique, reconnaissable entre mille.
par Philippe Lombard
Sources des citations :
Spotlight n°1, On aura tout vu de Georges Lautner (Flammarion, 2005), Docteur Herman et Mister Vautrin de Noël Simsolo et Jean Vautrin (Écriture, 2010) et les deux livres de souvenirs de Rémy Julienne (Silence on casse, Flammarion, 1978 / Ma vie en cascades, Éditions n°1, 2009).