Hommage à Michael Lonsdale

Hommage à Michael Lonsdale

Né le 24 mai 1931, le comédien Michael Lonsdale nous a quittés le 21 septembre 2020, à l’âge de 89 ans. Retour sur une carrière aussi éclectique que fascinante.

« Je ne travaille pas à la composition de mes personnages. Je lis le texte et il me donne une impulsion. Répéter longtemps un rôle, ça m’ennuie terriblement. Je suis un acteur d’instinct, tout est là tout de suite, je n’ai pas à construire, à réfléchir, à préméditer. Mon grand maître dans le genre, c’est Michel Simon. C’était un bonhomme qui ne comprenait rien à ce qu’il jouait, mais qui possédait une connaissance obscure. Pour moi, c’est un modèle absolu de liberté. » Voilà les mots qu’utilisait le grand Michael Lonsdale pour définir sa façon d’entrer dans ses personnages, de les habiter.

Michael Lonsdale dans l’émission Loisirs spectacles – 10 février 1973

La singularité de Lonsdale, c’est d’emblée sa double culture, britannique par son père, française par sa mère, sa jeunesse au Maroc, son installation à Paris en 1949, à dix-huit ans. Dès la fin des années 1950, son talent insolite éclate au théâtre, dans des pièces contemporaines, d’auteurs de la modernité comme Beckett, Ionesco, Dürrenmatt ou évidemment Marguerite Duras, dont il deviendra l’un des comédiens d’élection.

Michael Lonsdale dans Snobs ! (Jean-Pierre Mocky, 1962)

Au cinéma, on le remarque dans les films de Jean-Pierre Mocky (Snobs, Les Compagnons de la marguerite, La Bourse et la vie, La Grande lessive (!), L’Étalon, Chut !), metteur en scène qu’il qualifie de « farceur et d’anarchiste », dans Les Copains d’Yves Robert aux côtés de Philippe Noiret, Pierre Mondy, Claude Rich, Christian Marin, Jacques Balutin et Guy Bedos, puis chez Orson Welles, qui lui offre son premier rôle de prêtre dans Le Procès.

Philippe Noiret, Guy Bedos, Pierre Mondy, Michael Lonsdale, Claude Rich, Jacques Balutin et Christian Marin dans Les Copains (Yves Robert, 1965) - © Gaumont

D’emblée, Lonsdale impose une personnalité étrange qui, par son détachement, son décalage, sa voix au timbre perché, met en relief la complexité, les paradoxes, voire le ridicule de ses personnages. Comment oublier le fameux « Je sens que je suis détesté et je ne sais pas par qui » de M. Tabard, le marchand de chaussures de Baisers volés de François Truffaut ? « Ma voix, c’est ma voix, explique-t-il. Je ne le fais pas exprès. Longtemps, je n’ai pas parlé assez fort. J’avais une voix sourde. C’était ma hantise, au théâtre. Et au cinéma, on me disait : attention, tu n’articules pas assez. La force de ma voix est venue peu à peu, mais sans méthode particulière. »

Anne-Marie Deschodt, Paul Le Person, Michael Lonsdale et Bernard Mussondans Le Fantôme de la liberté (Luis Buñuel, 1974)
Michael Lonsdale dans Baisers volés (François Truffaut, 1968)

Ce qui force l’admiration, c’est la façon dont Michael Lonsdale traverse les générations et toutes les familles de cinéma, de l’avant-garde de Marcel Hanoun à Georges Lautner (Il était une fois un flic), de Luis Buñuel (Le Fantôme de la liberté) à Costa-Gavras. À propos de la scène inoubliable du film de Buñuel dans laquelle des moines paillards boivent du whisky et jouent au poker, Lonsdale confiait à Matthias Debureaux en décembre 2019 : « j’apparais avec un pantalon SM dont une ouverture laissait voir mes fesses. À la fin du tournage, le directeur de la production m’a demandé si je voulais l’acheter. J’ai décliné ! J’avais juste demandé au producteur de ne pas afficher les photos de la scène à l’entrée des cinémas. Mais ils n’en ont fait qu’à leur tête. Et tout le monde a vu mes fesses. Terrifiant. »

Autre chance, son bilinguisme l’aiguille vers de grands cinéastes anglo-saxons dont Fred Zinemann, Joseph Losey, James Ivory, et Steven Spielberg dans Munich.

Michael Lonsdale dans Hibernatus (Édouard Molinaro, 1969)

Il ne faut pas oublier deux films qui ne font pas partie de son panthéon personnel mais qui continuent à fasciner les enfants du XXIème siècle, le James Bond Moonraker (où il est le grand méchant Hugo Drax) et Hibernatus d’Édouard Molinaro, avec une séquence d’anthologie face à un Louis de Funès en surchauffe (« Si, vous avez dodeliné ! »). En 2014, face à un journaliste du magazine Première, il précise à propos de ce film : « Il faut bien manger vous savez. J’aimais beaucoup Doudou Molinaro, mais son Hibernatus je ne voulais vraiment pas le faire. Bon j’avais des soucis financiers qui m’y ont finalement contraint… Quand je suis arrivé vers les studios pour mon premier tournage j’aperçois Doudou seul à la terrasse de café, je lui demande pourquoi il n’est pas sur son plateau : “De Funès ne veut pas que je sois présent pendant qu’il tourne ses scènes, il dit qu’il se débrouille mieux sans moi…” Quelle ambiance… » avant d’ajouter sur Louis de Funès : « J’ai eu de la chance, il m’aimait bien parce que je savais le suivre quand il improvisait. Vous voyez la fameuse scène du “Vous dodelinez ?” De l’impro totale. De Funès ne carburait qu’à ça. »

Michael Lonsdale et Edith Scob dans La Vieille fille (Jean-Pierre Blanc, 1971)

Difficile d’évoquer Michael Lonsdale sans insister sur sa foi, son lien à la spiritualité, dont il se sert pour incarner à l’écran un impressionnant nombre d’ecclésiastiques (Le Nom de la rose, GaliléoLa Vieille fille, Dagobert de Dino Risi où il joue Saint-Eloi et, évidemment, l’inoubliable frère Luc de Des hommes et des dieux). En 1991, il décroche même le rôle de l’archange Gabriel dans une comédie détonante signée Josiane Balasko, Ma Vie est un enfer, où l’on aperçoit le temps d’une scène Bertrand Blier – portant la soutane – lequel le convie neuf ans plus tard à célébrer le septième art français dans Les Acteurs (2000), aux côtés des grands de ce métier dont Jacques Villeret, Michel Piccoli, André Dussollier, Claude Rich, Michel Serrault, Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Alain Delon ou encore Jean-Paul Belmondo.

Michael Lonsdale dans Les Acteurs (Bertrand Blier, 2000)

Avec l’âge, la personnalité de Lonsdale s’est renforcée d’une intériorité supplémentaire, qui éclate dans ses collaborations avec les cinéastes du nouveau monde : Bruno Podalydès, François Ozon, Bouli Lanners ou Léa Fazer dans le renversant Maestro, où il interprète un cinéaste inspiré d’Eric Rohmer : « J’aime bien travailler avec les nouveaux. Ils sont plus libres, moins précis, peut-être, que les anciens – Fred Zinnemann, lui, m’envoyait des télégrammes quand il souhaitait déplacer une virgule dans un texte ! Aujourd’hui, on a plus de place pour l’improvisation. Comme avec Xavier Beauvois, pour qui le scénario est « un renseignement ». Il a inventé plein de choses sur le tournage. J’apprécie cette spontanéité. »

Michael Lonsdale

Après un parcours de plus de soixante ans, Lonsdale conservait un mystère, une part d’énigme et de sagesse mêlées, dissimulant toujours en lui le petit garçon de Casablanca qui rêvait devant les films hollywoodiens des années 1940. « Les enfants jouent pour se construire, inventer, imaginer, conclut-il. Le jeu, c’est quelque chose de prodigieux. Être acteur, c’est une façon de se soigner. »

par Stéphane Lerouge
et Gilles Botineau

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