Musicien et comédien, Gérard Filipelli nous a quittés le 30 mars 2021 à l’âge de 78 ans. Il était un des membres phares du groupe Les Charlots aux côtés de Gérard Rinaldi, Jean Sarrus, Jean-Guy Fechner et Luis Rego.
Né le 12 décembre 1942, Gérard Filipelli, dit « Phil », s’intéresse très tôt au monde de la musique et à un instrument en particulier, la guitare. Il n’ambitionne pas spécialement d’en faire un métier. Ce qui lui importe, c’est de jouer comme il l’entend. Et pour le plaisir avant tout. Mais âgé d’une vingtaine d’années à peine, il fait une rencontre qui s’apprête à bouleverser le cours de sa paisible vie : « Je faisais partie d’un groupe et nous répétions dans un studio où passaient aussi régulièrement Gérard Rinaldi, Jean Sarrus et Luis Rego. Nous nous écoutions parfois les uns les autres, et un jour, Gérard est venu me voir plus spécifiquement, pour que je montre quelques « trucs » de guitare à Luis. Plus tard, ils m’ont proposé de passer une audition, parce qu’ils s’étaient engueulés avec celui qui jouait du synthé pour eux… avant de me choisir comme guitariste remplaçant. Et à force, ils ont fini par me dire : « Si ça te plaît d’être avec nous, tu peux évidemment rester. »
Ensemble, ils forment Les Problèmes (entre rock et rhythm’n’blues), accompagnent le chanteur Antoine, et s’émancipent encore davantage en assurant les premières parties de Johnny Hallyday, Claude François et… les Rolling Stones ! Le succès s’avère de plus en plus conséquent, et une certaine presse à l’époque les considère même comme « les meilleurs musiciens français de studio ». Leur destin semble donc tout tracé, et pourtant… Un soir, en amont d’une émission de radio, on leur propose de reprendre un tube d’Antoine. Ils s’y soumettent volontiers, à une condition : pouvoir déconner. C’est ainsi qu’ils imaginent une parodie – avec l’accent berrichon – de Je dis ce que je pense, je vis comme je veux, re-titré pour l’occasion Je dis n’importe quoi, je fais tout ce qu’on me dit. Rinaldi écrit cette resucée d’une traite et commence à chanter, tandis que Phil le suit à l’accordéon. Tous s’en amusent, au point de se décider à enregistrer un disque complet sur cette lancée (Chauffe Marcel), sous le nom des Charlots, avec pour unique prétention de faire danser dans les bals ou en discothèque. Seulement, ce qui ne devait être qu’une parenthèse prend, contre toute attente, l’allure d’un véritable tournant. Le disque fait un tabac, ce qui conduit inéluctablement le groupe à abandonner Les Problèmes au profit des Charlots. Dès lors, exit le rock’n’roll pur. Place à l’humour et à la légèreté, dans la lignée d’une bande italienne à la renommée mondiale, Les Brutos, laquelle met en scène un séduisant chanteur entouré de quatre gus (dont le futur célèbre Aldo Maccione), grimaçant à l’excès. Phil hésite toutefois à s’engager sur cette voie : « La transition Problèmes/Charlots, personnellement, j’étais contre. En tout cas, au départ. On a longuement discuté, et je me suis peu à peu rangé du côté de la majorité, en demandant simplement à ce qu’on réfléchisse à un nouveau nom. « Les Charlots » ce n’était pas possible ! On a cherchés, hélas personne n’a trouvé « mieux »… On a pensés aux « Cons », aux « Nuls »… Et on est restés sur « Les Charlots ». Je crois que l’idée, à la base, vient de Christian Fechner (leur manager, ndlr). »
Un choix judicieux car, en dépit de cette identité frivole, les tubes s’enchaînent : Les Plaies-bois, Cet été c’était toi, L’Amour avec toé, Albert (ou la triste et lamentable histoire d’un contractuel dont la vie exemplaire est toujours le modèle de cette édifiante corporation), Paulette la reine des paupiettes, Les Nouilles, Berry Blues, Je chante en attendant que ça sèche, Je suis trop beau, On n’est pas là pour se faire engueuler, Sois érotique… si bien que, sans tarder, le Septième Art en vient à les solliciter. Le producteur Michel Ardan croit beaucoup en eux, après avoir vu ses enfants rire devant certaines de leurs frasques diffusées un dimanche à la télévision. Il leur soumet le script de La Grande java, signé Philippe Clair, et pour lequel l’immense Francis Blanche s’est déjà engagé. Les Charlots acceptent, par curiosité et peut-être une once d’insouciance : « Nous ne savions absolument pas ce que c’était que de tourner un film, reconnait Phil, le plus honnêtement du monde. Nous n’avions pris aucun cours. Pour nous, tout cela n’était qu’une blague qui continuait ! Si on résume, on a quand même été amenés à faire du cinéma, juste après une simple « connerie » improvisée à la radio ! ».
Tournage de La Grande java à Marseille – Provence Actualités (28 mars 1970)
Et, encore une fois, l’aventure se clôt par une vive acclamation du public : 3.385.636 tickets vendus. Le long-métrage, sorti en 1970, intègre d’ailleurs le top 10 des plus gros succès de l’année, derrière Le Gendarme en balade (Jean Girault, 4.870.632 entrées), Le Mur de l’Atlantique (Marcel Camus, 4.771.348 entrées), Borsalino (Jacques Deray, 4.711.705 entrées) ou encore Le Cercle rouge (Jean-Pierre Melville, 4.348.373 entrées). L’histoire ne peut s’arrêter là.
Sur le plateau, Les Charlots ont sympathisé avec le directeur de la photographie, Claude Zidi, et leur entente est telle qu’ils l’incitent à devenir réalisateur. Si un second film doit voir le jour, ce sera avec lui. Zidi saisit cette formidable perche tendue, et imagine Les Bidasses en folie, ou les péripéties d’un groupe de musique, freiné dans son élan artistique, après que chaque membre ait reçu sa convocation pour effectuer le service militaire obligatoire. Du sur-mesure pour Les Charlots.
Tournage des Bidasses en folie à Falaise – Télé Normandie (6 juillet 1971)
Phil n’a jamais oublié le jour où Zidi lui a présenté ce scénario : « Nous déjeunions, Claude et moi, dans un petit restaurant. À un moment, il me sert à boire. De l’eau. Nous parlons. Claude continue de verser l’eau. Et, à aucun moment, il ne s’arrête… Il reste extrêmement sérieux et déverse toute la carafe. Un bon litre ! Dans mon verre, d’abord, puis à côté, forcément… Il y en avait partout. Mais je suis rentré dans son jeu, et nous avons fait comme si de rien n’était. À la fin, j’étais trempé ! Là, pour moi, il avait marqué des points. Il était « pile ». Tout s’est joué sur ce déjeuner. » Les Bidasses en folie se tourne dans une humeur similaire, et à l’arrivée les spectateurs leur font un triomphe : 7.460.911 répondent en effet à l’appel. La comédie à la française connait une nouvelle vague qui emporte tout sur son passage, et Zidi compte bien surfer dessus. Il entraîne la bande dans trois nouvelles productions (Les Fous du stade, Le Grand Bazar, Les Bidasses s’en vont en guerre) sans que le public ne se lasse, puis bifurque brusquement vers de nouveaux horizons avec Pierre Richard, Louis de Funès et Jean-Paul Belmondo.
Tournage du Grand Bazar – Journal de Paris (19 mars 1973)
Le début de la fin pour Les Charlots. Christian Fechner, devenu entretemps leur producteur, les exploite sous diverses coutures : Les Charlots font l’Espagne de Jean Girault, Quatre Charlots mousquetaires et À nous quatre, Cardinal ! d’André Hunebelle, Bons Baisers de Hong Kong d’Yvan Chiffre. Des « blockbusters » dénués d’âme, qui les empêchent de développer leur jeu : « Quand on faisait du cinéma, je ne savais jamais quelle attitude prendre, se rappelle Phil. Devais-je être très grimaçant, à l’image des Brutos ? Ou fallait-il que je joue la situation ? En plus, on se gênait entre nous lorsqu’on avait des scènes de comédie à jouer. L’effet « groupe » nous obligeait à nous accorder sur la fausseté d’untel ou untel. C’était vraiment très difficile d’aborder nos rôles comme de vrais acteurs, professionnels j’entends. »
Pire encore : une brouille avec Christian Fechner annule plusieurs projets au potentiel éminent : Merci patron ! avec Louis de Funès sur des dialogues de Michel Audiard ; Les Charlots au Far West avec John Wayne sous la direction de Zidi ; Charlots, Charlottes d’après un sujet de Bertrand Blier…
Tournage de Bons baisers de Hong Kong avec Mickey Rooney – Un sur cinq (24 septembre 1975)
En 1980, Les Charlots, qui ne sont désormais plus que trois (Phil, Rinaldi et Sarrus), tentent de redresser la barre. Ils réécrivent entièrement un scénario qu’on leur a transmis, et où leur personnage font face à Dracula. Phil est au centre de l’intrigue. Sa fiancée, qui ressemble trait pour trait à la mère du réputé vampire, a été kidnappée, et le trio part à sa rescousse jusqu’en Transylvanie. Un délire qui, hélas, ne convainc que modestement les inconditionnels de l’équipe (Les Charlots contre Dracula ne cumule que 555.878 entrées). Selon Phil, « le metteur en scène, Jean-Pierre Desagnat, n’était pas terrible. On avait assez peur de lui, et le résultat nous a donné raison. Déjà, le scénario était catastrophique. On en a pris connaissance deux mois avant. Le choc a été si brutal qu’on s’est dit : « Non, on ne peut pas faire ça ! » Et on s’est donnés rendez-vous tous les jours, avec Gérard et Jean, pour retravailler les séquences. Après avoir découvert le montage définitif, j’ai pris conscience de ses défauts. Comme bon nombre de films comiques, il se limite à une succession de mini-sketches. Mais en fin de compte, il était difficile de faire mieux, parce qu’on était pris par le temps. »
Les ultimes longs-métrages (Le Retour des Bidasses en folie de Michel Vocoret, Charlots connection de Jean Couturier, Le Retour des Charlots de Jean Sarrus) terminent d’achever la carrière du groupe au cinéma. Phil, à la différence de Gérard Rinaldi (et, dans une moindre mesure, de Jean Sarrus), ne cherchera jamais à poursuivre le métier de comédien. Récemment, il nous confiait : « Les Charlots, c’était de la déconnade. On était dans une sorte de vaisseau spatial, et on a décollé. Aujourd’hui, j’ai tiré le rideau. Je ne revois pas les films. Il m’arrive de regarder des passages, comme ça, à la télévision. Ça me ramène à une certaine époque, mais pas plus. Je n’ai pas de mauvais souvenirs. C’était un moment extra de ma vie, avec ses hauts et ses bas. Et je n’ai pas de regret non plus. Pour moi, l’histoire des Charlots s’est arrêtée à un moment. C’est comme ça. Et ça me plaît. De toute façon, j’ai toujours été un peu « ours ». Même à l’époque. Quand les autres partaient au soleil à l’autre bout du Monde, moi j’aimais bien rester à la maison avec ma guitare. Donc finalement, ma vie rêvée, c’est maintenant. »
par Gilles Botineau