My name is Bertie Blye.
Non, je n’ai jamais volé de voiture, ni fait de prison, ni abusé d’Isabelle Huppert sur le bord d’une route.
Et pourtant, je suis l’immortel auteur des Valseuses.
Je suis né le 14 mars 1939, une excellente année, à Boulogne-Billancourt.
Mon père est un bon acteur.
Oui, il a eu de l’influence sur moi. De même que Boris Vian, James Cain et Thelonious Monk.
Je suis un ancien jeune réalisateur plein de promesses (Hitler, connais pas !).
Malheureusement, je ne les ai pas toujours tenues (Calmos)
Et puis grâce à un groupe d’amis et à la force du poignet, je suis arrivé à me ressaisir (Buffet froid).
Vous voyez comme je porte un regard lucide sur mon œuvre… C’est le privilège de l’âge.
Une autre question ?
Autoportrait rédigé en 1983 lors de la sortie de La Femme de mon pote
Titulaire d’une filmographie incontournable incluant Les Valseuses, Calmos, Tenue de soirée, Trop belle pour toi, Les Acteurs et Préparez vos mouchoirs (Oscar du meilleur film étranger en 1979), Bertrand Blier nous a quittés le 21 janvier 2025 à l’âge de 85 ans.
Son parcours débute à la fin des années 1950 : témoin privilégié du montage du Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot, Blier devient ensuite homme à tout faire sur une série de tournages (Babette s’en va-t-en guerre, Maigret et l’affaire Saint-Fiacre, Rue des prairies…), puis est promu second assistant sur Arrêtez les tambours de Georges Lautner, avant d’effectuer ses premiers pas de réalisateur.
Passée l’expérience cinéma-vérité d’Hitler, connais pas ! (1963) et une incursion dans le thriller psychologique (Si j’étais un espion, 1967), Bertrand Blier devra néanmoins patienter jusqu’à la décennie suivante pour aborder le registre de la comédie. En 1971, l’année où il co-signe le scénario du polar parodique Laisse aller, c’est une valse de Lautner, Bertrand Blier publie son premier roman, Les Valseuses. Trois ans plus tard, son adaptation filmée révèle le trio Gérard Depardieu – Patrick Dewaere – Miou-Miou, bouscule la France Giscardienne ronronnante et marque le point de départ d’une œuvre placée sous le signe des marginaux, des répliques cinglantes et de la quête de liberté. « Ma génération a eu vingt ans dans le cadre d’une société extrêmement structurée où tout était solidement bétonné, qu’il s’agisse de l’organisation familiale, de la conception de l’amour et de la sexualité, ou même des idées politiques, explique Blier en 1987. Puis tout a éclaté jusqu’aux positions plus ou moins extrémistes de Mai 1968 et la suite. J’ai vécu cela en individu actif, vivant en direct les émotions qui en résultaient. Il est donc normal qu’on en retrouve de traces dans mes films. »
En 2019, à l’occasion de sa deuxième édition, le Festival CineComedies avait accueilli Bertrand Blier lors d’une rencontre exceptionnelle accompagnée des projections en copies restaurées de Buffet Froid et de Calmos, deux comédies hors-normes mettant en scène son illustre paternel, l’immense Bernard Blier. Quelques semaines plus tôt, Bertrand Blier avait accordé à CineComedies un long entretien resté inédit. « Il y avait une place à prendre et je l’ai prise », nous avait confié un auteur-réalisateur phare de la comédie et du cinéma français.
Comment êtes-vous venue l’idée d’écrire ?
L’écriture est venue par surprise. Je n’étais pas auteur et j’avais envie d’être metteur en scène. J’ai commencé à écrire un peu plus tard avec Les Valseuses, qui était un roman. Par chance, il s’est bien vendu. Dans les semaines qui ont suivi la parution du livre, le téléphone s’est mis à sonner chez moi et on m’a demandé de faire des films. C’est là que ma carrière a commencé car quand on est capable d’écrire Les Valseuses, ça veut dire qu’on est capable d’écrire Les Valseuses. J’ai écrit d’autres histoires. Quand le stylo est dans la main, après ça roule tout seul. J’écris facilement, particulièrement les dialogues. Pourquoi se priver ? Le dialogue, c’est ce qu’il y a de plus facile. Inventer des histoires, c’est plus compliqué car il faut un début, un milieu et une fin. Les dialogues, on met deux mecs à une table, ils disent des conneries et c’est facile. Michel Audiard que j’ai bien connu était un génie du scénario et du dialogue. On lui donnait des histoires, particulièrement des séries noires, des bouquins policiers et il les adaptait à sa manière. Il faisait un film d’Audiard mais ce n’était pas tellement un inventeur d’histoires, ni un grand constructeur, mais c’était un grand dialoguiste.
En 1971, vous signez le scénario de Laisse aller, c’est une valse de Georges Lautner.
Je lui avais apporté l’histoire. Un jour, je suis allé le voir pendant le montage de Sur La route de Salina. J’étais très jeune et un peu à la ramasse. J’avais été son assistant et j’étais un ami. Je lui ai demandé s’il fait une histoire pour son prochain film et il me dit : « non, mais si tu en as une, ça m’intéresse. » Je lui ai dit que j’en avais peut-être une. On était vendredi et je lui ai dit que je le rappelais le lundi. Je le rappelle le lundi et je lui raconte l’histoire de Laisse aller, c’est une valse et il me dit qu’il va le faire. On s’est mis en accord avec Gaumont et j’ai écrit un scénario. Ça a été difficile parce que la collaboration avec Georges était problématique. Ce n’était pas un auteur, pas un littéraire, et on n’était pas d’accord. Souvent, j’écrivais des scènes et il les réécrivait à sa manière et ça ne me plaisait pas du tout, mais on l’a fait quand même.
La position d’auteur-scénariste-dialoguiste est une position merveilleuse à condition d’avoir un metteur en scène qui suit. Quand on écrit une scène démentielle et que le metteur en scène vous dit qu’il ne peut pas tourner ça, il y a une douleur, c’est très frustrant. Ça m’est arrivé à chaque fois que je travaille avec un autre metteur en scène que moi. Moi ça va, je suis d’accord avec moi-même. C’est plus facile d’être seul, car il ne faut pas être trop intelligent pour faire un scénario, il faut être un peu crétin. Quand on est seul, on peut vraiment être très con et écrire des choses et les tourner. Quand on est deux, il y a tout de suite une espèce de rivalité intellectuelle. Les deux interlocuteurs cherchent à être le meilleur, donc ça fait trop d’intelligence autour du papier. Il ne faut pas qu’il y ait trop d’intelligence, il faut que ça roule.
Prenez-vous autant de plaisir lors de l’écriture d’un film que pendant son tournage ?
Le plus passionnant, c’est l’écriture. Partir de rien et commencer à écrire des choses qui prennent l’allure d’une histoire. C’est très angoissant, mais c’est très passionnant. Ensuite, le tournage, ce sont des vacances. Ce ce qu’il y a de plus agréable car on est avec une bande de copains et on tourne des choses pas très sérieuses et pas très raisonnables, donc c’est forcément la partie la plus ludique. Après, il y a le montage où parfois on a la grosse tête dans le sens où ça ne marche pas comme on voudrait. Le montage des Valseuses était difficile, mais en général, quand j’ai un bon départ, il y a le film derrière, caché, et qui surgit. Mais on n’est pas maitre. Il faut avoir des idées intéressantes et ensuite le film se débrouille… Il y a au moins le double de films que je n’ai pas faits. J’en ai tourné 20, donc à peu près 40. Souvent, c’est moi qui ai abandonné, parce que le projet était trop cher par exemple.
Quel est le point de départ de Calmos, votre troisième long-métrage sorti sur les écrans en 1976 ?
Dans Préparez vos mouchoirs, il y a une scène assez célèbre où on parle de Mozart. Je l’ai écrit dans une maison où j’étais tout seul et j’avais emporté du matériel pour écouter de la musique. Je me mets le concerto pour clarinette de Mozart. En l’écoutant, je me suis mis à écrire la scène au moment du deuxième mouvement. En entier, et c’est une longue scène. Après, j’avais les feuilles de papier devant moi, je les ai pliées, rangées dans un coin et je me suis dit que j’allais garder ça pour plus tard. Pendant longtemps, je me suis trouvé avec cette scène en me disant : « qui sont ces mecs qui parlent de Mozart ? ». Je ne savais rien sur eux. Le travail de scénariste consistait à mener une enquête sur cette première scène, et c’est en menant cette enquête que j’ai trouvé le scénario. Après, j’ai fait Calmos, puis j’ai repris la scène Mozartienne et j’ai fait un autre scénario qui est devenu Préparez vos mouchoirs.
Calmos, c’est un film qui est venu aussi comme ça, très spontanément. J’avais un copain merveilleux, Philippe Dumarçay. Un jour, on était tous les deux dans la cuisine en train de préparer un ragoût. On s’est regardés, et l’un de nous deux a dit à l’autre : « Elles nous manquent pas, hein ? ». Et l’un de nous deux a dit : « ça, c’est un film. » on a tout de suite attaqué le scénario de Calmos. L’écriture a été plus longue que Buffet froid par exemple, c’était un gros scénario compliqué. Peut-être deux mois de travail. 1976, c’était l’année de la femme et on a fait ce film en disant que ça allait être un hommage aux femmes. On va se faire insulter, mais on va le faire. On a donc fait le film, et on s’est fait insulter. Ça a été un très gros échec. Ce n’est pas mon film préféré. Il y a eu un scénario assez étonnant quand même que je n’ai pas tourné entièrement parce que c’était trop cher. C’était un film Kubrickien au départ mais on a dû enlever des choses. On rétrécit pour aller vers quelque chose de plus raisonnable. C’était pas très raisonnable quand même à l’arrivée.
Comment s’est déroulé le casting ?
Les premiers comédiens envisagés étaient Jean-Paul Belmondo et Jean Yanne, et Belmondo a dit non. Il ne voulait pas le faire. Jean Yanne a dit oui. Je crois que Belmondo était feignant. C’était l’époque où il était au top de ses grands films policiers, qui étaient tous des copier-coller, et faire Calmos devait représenter un risque énorme pour lui. On a cherché d’autres acteurs et on s’est retrouvés avec Marielle et Rochefort. C’était pas mal non plus. Rochefort était chez lui dans ce film. Il y a cette scène où il se réveille la nuit pour manger de la charcuterie, c’est merveilleux. Rochefort et Marielle avaient parfois des grandes angoisses. Ils tournaient des trucs et ils se regardaient en disant : « tu te rends compte de ce qu’on est en train de tourner ? ». C’était justifié.
Et du côté des actrices ?
Bizarrement, les actrices (Brigitte Fossey, Micheline Khan et Dora Doll, ndr) ont été très contentes de tourner un truc pareil, même si le film était tellement à contre-courant des revendications de l’époque. C’était pas de la tarte quand même…
On voit rarement un vagin de douze mètres de haut au cinéma.
Jean André, le décorateur, était un fou furieux. On lui proposait un truc comme ça et il le faisait. J’avais Jean André et Claude Renoir pour la lumière. Deux stars. Claude Renoir était un type délicieux, un génie de la lumière. Il rigolait beaucoup car je lui faisais tourner des choses auxquelles il n’était pas habitué… Dans le vagin géant, il y avait mon père en soutane, en curé, avec un âne. Au studio de Billancourt, on a construit un vagin en démo et on a tournée dedans. Le vagin était articulé. Il y avait des mécanismes secrets qui faisaient bouger la dame. Tout Paris et tous les copains venaient voir le décor. Gainsbourg était venu le visiter avec Charlotte, qui était encore toute petite.
Pourquoi avez-vous choisi le jazzman Slam Stewart pour la musique du film ?
J’ai eu l’idée de Slam Stewart parce que je suis un grand amateur de jazz. J’avais pas mal de ses disques et j’avais envie d’avoir le son de ce mec-là. On l’a contacté et j’en ai parlé à Georges Delerue, avec qui j’ai beaucoup travaillé. Il ne connaissait pas Slam Stewart, alors je lui ai fait écouter des trucs et Slam est venu enregistrer à Paris et c’était génial. Delerue s’est marré en voyant le film, et on s’est tous marrés en le faisant.
Avez-vous écrit des scènes que n’avez pas tournées ?
Oui, mais pas beaucoup. Surtout des scènes visuelles, dont un bain de minuit avec des femmes en chaleur qu’on devait tourner en nuit américaine, mais c’était compliqué.
Comment le film a-t-il été accueilli lors de sa sortie ?
On ne savait pas du tout quel serait l’accueil des spectateurs. Le cinéma c’est ça, on fait des trucs et après il faut bien les montrer aux gens. L’accueil critique a été consternant, l’accueil en salle aussi. Un jour, j’étais allé me cacher dans le public. Le film passait au Marignan je crois, et je me suis caché au fond de la salle pour guetter les réactions du public. À la fin, quand les gens sont sortis, je me suis fait tout petit pour qu’on ne me voit pas. Un mec qui sortait est passé à côté de moi et qui a dit : « j’aimerais bien connaître le connard qui a fait ce film. » Depuis, je ne vais plus dans les salles.
Calmos est aujourd’hui considéré comme un film culte.
Oui, et il y a même un club des fans de Calmos. Parfois, on me demande : « quand est-ce-que vous nous refaites un Calmos ? ». Je réponds : « jamais », et ça serait encore plus compliqué aujourd’hui. C’est un film contre les femmes, mais au troisième degré, bien sûr. Il y a beaucoup de mes films qu’on ne pourrait pas faire actuellement, comme Les Valseuses.
Trois ans après Calmos, vous écrivez et réalisez Buffet froid. Comment vous est venue l’idée du scénario ?
De Gérard Depardieu. Avant, on avait tourné avec lui Préparez vos mouchoirs dans les Ardennes Belges pour des raisons de production. Gérard avait dans sa poche un très gros couteau, un Opinel qu’il ouvrait pour couper des branches dans la forêt. Ensuite, il enlevait de petits bouts de la branche et à la fin il avait un cure-dents. Toute la journée, il coupait du bois, ça lui permettait de patienter, d’attendre que les plans soient prêts. Quand ce film a été terminé, je me suis retrouvé en vacances tout seul dans une maison et j’ai pensé au couteau de Gérard. Je me suis dit : « un couteau comme ça, c’est fait pour entrer dans un ventre. » C’était idée, je suis parti de ça et j’ai écrit le scénario de Buffet froid en huit ou dix jours, une vitesse record.
Des auteurs comme Ionesco, Jarry et Beckett vous ont-ils inspiré lors de l’écriture ?
Non, je l’ai écrit comme c’est venu. Par la suite, je me suis aperçu que j’avais des références, particulièrement une qui était Drôle de drame. C’est un film qui m’avait enchanté et qui a été une catastrophe sur le plan commercial. Je me suis senti proche des ces personnages, Michel Simon, tout ça, donc je ne m’en suis pas inspiré mais ce n’était pas loin de moi. C’était ma famille.
Certaines répliques de Buffet froid sont-elles improvisées ?
Non. Pour me vendre une réplique supplémentaire, il faut se lever de bonne heure.
De quelle manière s’est opéré le financement de Buffet froid ?
Il a fallu un an pour trouver l’argent. Alain Sarde était emballé par le scénario, il voulait vraiment faire le film mais il n’avait pas d’argent. Il cherchait de son côté des finances et moi j’avais rendez-vous avec des distributeurs qui lisaient le scénario et qui étaient plus ou moins partants, mais qui n’y allaient pas. On a failli ne pas le faire. La situation s’est déclenchée quand j’ai eu l’Oscar pour Préparez vos mouchoirs. Je suis rentré à Paris, je suis allé voir Sarde et je lui ai dit : « Je viens d’avoir un Oscar à Hollywood, ça serait con de ne pas faire mon prochain film quand même ? ». Et il m’a répondu : « on le fait ». Je ne sais pas comment il a fait, mais il a trouvé l’argent.
C’est un film très ambitieux d’un point de vue visuel.
Il est très réussi car Jean Penzer était un directeur de la photo extraordinaire qui avait fait des films plutôt commerciaux. Il ne s’était pas attaqué à de l’ambition esthétique et tout d’un coup, je lui ai fait faire un film esthétisant. il l’a fait très spontanément et la photo est extraordinaire. Il y a des scènes inoubliables. Celle du lac est une apothéose.
Dans cette fameuse scène, vous tuez le père en quelque sorte.
C’était angoissant de le voir monter dans la barque. Il faut savoir un truc : mon père ne savait pas nager, il était aquaphobe. Il avait eu un problème quand il était petit, son frère ainé l’avait poussé dans une piscine et il avait failli se noyer. Il devait avoir six ou sept ans. À partir de là, il n’a plus jamais voulu aller dans l’eau. Il était sur une barque avec un acteur qui avait pris une cuite la veille avec le gros Gérard et qui bougeait beaucoup dans la barque. Il y avait des hommes-grenouilles autour, on était équipés mais j’avais quand même peur de tuer mon père. Quand j’ai fait monter mon père dans la barque, on a poussé la barque sur le lac et il m’a dit : « tu ne vas quand même pas buter ton père ? ». Je lui ai dit : « non, on va faire attention. » C’était très limite. S’il était tombé dans l’eau, ça aurait été mauvais mais on l’aurait sorti. C’était de l’eau de glacier très froide dans un lac de l’EDF, au-dessus de Grenoble.
De quelle manière avez-vous dirigé votre père sur vos films ?
Je le traitais comme n’importe quel acteur, sauf qu’il était meilleur. On n’essayait pas de s’impressionner, on faisait notre job, c’est tout. Bien sur, il y a des trucs particuliers quand un fils tourne avec son père. Une plus grande exigence, et j’avais sans doute plus exigent avec lui car je le connaissais par cœur.
Il n’y a pas de musique dans Buffet froid. Pourquoi ?
Un film sans musique, c’est formidable. C’était le sujet : on tue des musiciens. Dès qu’un mec arrive avec un violon, hop, on le bute. L’inspecteur que joue mon père raconte comment il a tué sa femme quand elle était dans son bain en la branchant sur le 220. C’est un film sur la haine de la musique. C’était une idée de départ. Il y a juste du Brahms, un peu tripoté par Philippe Sarde.
Comment a été accueilli le film lors de sa sortie ?
Buffet froid s’est écrit facilement, tourné facilement, mais a été présenté au public moins facilement. Les gens n’étaient pas habitués à voir ce genre de film. Des spectateurs très en colère sortaient au bout de cinq minutes et ils voulaient se faire rembourser leur billet. La critique a été plutôt bonne. Il y avait une place à prendre et je l’ai prise. Il n’y a pas beaucoup de films comme Buffet froid dans l’histoire du cinéma en France.
Les années ont passé et petit à petit, le film a pris de la bouteille et est devenu un classique. Encore aujourd’hui, tout le monde me dit que c’est mon meilleur film. C’est un grand film parce qu’il y avait une histoire folle et c’est un film sur la mort. Il y a quand même onze cadavres dans le film. C’est marrant de tuer des gens au cinéma. C’est même un des trucs les plus marrants. Un mec qui meurt avec un couteau dans le ventre joué par Michel Serrault, ça ne peut être que drôle. Il y a beaucoup de noirceur et de drôlerie parce que la noirceur est utilisée comme un ressort comique. Par exemple, à la fin, quand Gérard et mon père sont dans la barque, c’est un plan très marrant. On sent que ça sent le roussi.
Y-a-t-il eu des incidents lors du tournage ?
Il y a eu plein d’incidents, notamment lors du tournage de la scène sur le viaduc lorsqu’ils lancent le couteau. Tout ça avait été préparé très sérieusement mais c’était délicat. À l’époque, Gérard était aussi déjà très difficile à manipuler. Gérard est un acteur génial mais il faut le tenir. Il faut lui parler sérieusement, lui demander des trucs sérieux. Carole Bouquet était géniale. Elle était au top de son physique, une beauté. C’est un film assez magique, on ne peut pas vraiment dire comment on l’a fait. C’est un film béni, il y avait un Dieu qui surveillait et qui empêchait les problèmes. Ce n’est pas mon film préféré, c’est un de mes films préférés. Ce qu’il a de plus intéressant, c’est l’écriture. Écrire un scénario comme ça, en huit jours, c’est assez miraculeux quand même.
Après Buffet froid, vous signez Beau-père, puis La Femme de mon pote en 1983, et Notre histoire l’année suivante.
Pour La Femme de mon pote, j’avais eu une proposition de Claude Berri pour faire un film avec Coluche. Je lui ai dit d’accord, mais je n’avais pas d’histoire et j’ai commencé à en chercher une. Il me fallait un collaborateur et j’ai contacté Gérard Brach. Il a participé à l’écriture de La Femme de mon pote mais il n’a rien écrit. Il écoutait simplement quand je lui lisais les scènes et il me disait : « C’est la première fois que je suis payé pour écouter. »
Parfois, on sent le danger : quand j’ai fait Notre histoire avec Delon, j’avais Delon, mais pas d’histoire. J’ai demandé à avoir quelqu’un avec moi pour m’empêcher de faire une connerie car avec Delon, il y a des conneries qu’il ne faut pas faire. Le premier boulot, c’est de trouver les conneries à ne pas faire. Donc j’ai travaillé huit jours avec Pascal Bonitzer, mais après je l’ai écrit tout seul. C’est pas mal d’avoir un gendarme. C’est bien d’écrire seul mais c’est bien aussi d’avoir un copain qui écoute et qui fait : « je ne comprend pas » ou « c’est pas ta meilleure scène. » J’ai travaillé une fois avec Jean-Loup Dabadie, mais ça n’est pas allé très loin. Je suis meilleur quand je suis tout seul.
Pour Tenue de soirée (1986), vous avez dû faire face à plusieurs changements de casting.
Tenue de soirée devait être tourné au départ par Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, ensuite j’ai renoncé car Dewaere était mort. Je me suis dit que je ne ferai jamais ce film tout en sachant que c’était une histoire formidable. Gérard me demandait quand j’allais tourner ce film et je lui disait : « je ne peux pas, il n’y a pas Patrick. » On s’est donc mis à rechercher un mec pour le remplacer. Je me suis d’abord braqué sur Bernard Giraudeau, qui aurait très bien pu jouer le rôle de Patrick. Il est venu chez moi, je lui ai lu le scénario et il m’a dit qu’il ne pouvait pas le faire. On n’a jamais su pourquoi. À ce moment-là, j’ai cherché d’autres acteurs. On a failli ne pas faire le film et j’en suis arrivé à me dire que seul deux acteurs pouvaient remplacer Patrick : Michel Blanc et Coluche, et ils vont me dire oui tous les deux. Du coup, je ne leur ai pas proposé et j’ai attendu pour en avoir la certitude. Quand j’ai eu la certitude Michel Blanc, je lui ai proposé et il m’a dit oui de tout de suite et c’était une bonne idée. Il était formidable. Quand Gérard enlève son peignoir et quel apparaît en slip léopard, on a failli arrêter de tourner tellement Michel riait. On s’est arrêtés une heure ou deux puis on a repris. C’était magique. Tenue de soirée est le film où j’ai le plus rigolé. Tous les jours, on avait des crises. C’était deux acteurs fantastiques, alors les avoir face à face… Tous les jours, c’était irrésistible.
Vous avez participé à l’écriture de Grosse fatigue, la deuxième réalisation de Michel Blanc en 1994. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
J’ai obligé Michel Blanc à faire Grosse fatigue. Il venait d’avoir le gros succès de Marche à l’ombre, puis je le dirige dans Tenue de soirée. Tous les jours, je le regardais et à un moment je lui ai dit : « il faut que tu fasses un autre film parce que tu es vraiment très fort ». Il m’a écouté et il est venu me voir plus tard pour me demander si j’avais une idée. On est partis sur l’idée de Grosse fatigue. J’ai travaillé sur un scénario qu’il a complètement modifié. Son film n’a aucun rapport avec ce que j’avais écrit. Il est parti dans son coin, il a écrit son scénario. Il m’a laissé tomber mais il a eu raison, le film était pas mal.
Trois ans après Tenue de soirée, vous retrouvez Gérard Depardieu dans Trop belle pour toi.
Trop belle pour toi est un film très sérieux. C’est mon premier film où les personnages principaux sont des femmes, Josiane Balasko, Carole Bouquet. Les dialogues sont tellement féminins que j’ai fait une une lecture avant le film à Josiane et à Carole pour le demander si les dialogues que j’avais écrit pour elle leur convenaient. Je suis plutôt un dialoguiste viril, et là j’avais fait un dialogue de filles. Elles m’ont dit : « C’est formidable, on a l’impression qu’on l’a écrit nous-mêmes. » C’était un compliment merveilleux.
Pour terminer, quels sont vos goûts en matière de comédie internationale ?
J’ai beaucoup aimé le cinéma italien. À un moment, la comédie italienne était championne du monde. C’était les meilleurs. Dino Risi, Ettore Scola, Pietro Germi. Divorce à l’italienne, c’est formidable. Je ne suis pas trop branché sur la comédie américaine même s’il y en a d’admirables; Billy Wilder, c’est bien. Pas trop Blake Edwards, je ne suis pas marié avec lui. Les grands burlesques, c’est l’histoire du cinéma.
Propos recueillis par Stéphane Lerouge et Jérémie Imbert