Révélé en 2012 avec le superbe conte onirique Blancanieves, le réalisateur et scénariste Pablo Berger signe avec Abracadabra une comédie délicieusement noire où le thème de l’hypnose télescope le drame, le fantastique et… la danse disco ! Rencontre avec un cinéaste pour qui la comédie à le goût « d’un bonbon au chocolat avec une amande amère à l’intérieur. »
CineComedies : En plus d’éléments comiques, Abracadabra contient aussi du drame, du fantastique… et du disco !
Pablo Berger : Dès que je commence à écrire une histoire, j’ai l’impression d’être possédé par un esprit. C’est comme si je posais un verre sur une planche Ouija et que je laissais partir mes mains. Je ne contrôle plus rien, je me laisse aller et je suis presque comme Linda Blair dans L’Exorciste : je vomis des bouts de phrases, des idées. Ensuite, j’essaie de construire un puzzle à partir de toutes ces pièces. En général, mes histoires sont des contes et Abracadabra est né de la réunion de toutes ces éléments et de genres différents comme le drame, la comédie musicale, le fantastique et le réalisme social. Mais pour moi, le plus important est de surprendre le spectateur et c’est ce que j’essaie de faire dans chacun de mes films.
L’élément de surprise est permanent dans Abracadabra, on se sait jamais où le scénario va vous entraîner…
Depuis mon premier court-métrage Mama, tous mes films sont écrits de cette manière et c’est aussi ce qui m’intéresse en tant que spectateur. Pour moi, le scénariste Jean-Claude Carrière est un maître en la matière. Il a dit que l’unique règle à suivre au moment de l’écriture, c’était de surprendre le spectateur. Je pense qu’un film doit toujours ressembler à un tour en montagnes russes.
La musique joue aussi un grand rôle dans Abracadabra en servant de déclencheur
La musique est fondamentale et elle est présente dans tous mes films. Mama était basé sur une chanson de l’Eurovision. Les succès des années 1970 rythmaient Torremolinos 73, mon premier film. Dans Blancanieves, c’était la voix des personnages qui servait de musique. Dans Abracadabra, elle est presque permanente. Pour moi, le cinéma est très lié à l’hypnose et la musique peut vous aider à entrer dans un film de manière inconsciente. La musique est presque plus forte que l’image : rien qu’avec trois notes de musique, on peut vous faire entrer dans un autre univers. Quand j’arrive à mon bureau à neuf heures du matin pour écrire, j’ai déjà ma playlist et j’écoute toujours les mêmes titres en fonction du scénario que je suis en train d’écrire. C’est comme ça que j’avance et que dans Abracadabra, on entend 10cc, le Steve Miller Band, Mike Oldfield… Heureusement, mon producteur a pu payer les droits de toutes ces chansons !
« I’m Not In Love », le tube de 10cc, est un peu la clé du film
Tout à fait. On l’entend dans deux scènes fondamentales du film. Cette chanson m’a toujours fasciné, j’ai toujours rêvé de pouvoir l’utiliser dans un de mes films et Abracadabra m’en a donné l’occasion. Quelle chanson… Dès ses premières notes, elle remplit tout l’espace. De plus, ses paroles disent tout le contraire du sentiment qu’elle veulent exprimer. Abracadabra est à la fois une histoire d’amour et de désamour, celle d’un amour impossible… Pour tout vous dire, j’avais même songé à faire d’I’m Not In Love le titre du film, mais ça sonne beaucoup moins bien qu’Abracadabra !
Quelles sont vos références en matière de comédies ?
Les comédies sont comme un bonbon au chocolat avec une amande amère à l’intérieur qui représente le drame. J’aime les comédies sérieuses. Par exemple, j’adore Le Bourreau (El Verdugo de Luis García Berlanga, car elle comporte des éléments dramatiques puisqu’on y évoque la peine de mort… Mes autres références en la matière sont Billy Wilder, Fellini, Chaplin et Woody Allen. Ce qui me plaît chez Woody Allen, c’est qu’il parvient à rendre crédible ce qu’il ne l’est pas. Il traite de la magie, de l’au-delà et de l’hypnose, mais toujours avec des personnages réels, comme dans La Rose pourpre du Caire ou Le Sortilège du scorpion de Jade.
On voit peu de comédies espagnoles sur nos écrans. Quelles sont les tendances actuelles du cinéma comique en Espagne ?
Traditionnellement, la comédie espagnole a du mal à s’exporter car elle est surtout basée sur les dialogues. Pour bien voyager, une comédie doit être surtout visuelle et c’est un peu le problème de la comédie espagnole… Dernièrement, le plus gros succès de la comédie en Espagne est Ocho apellidos vascos (Huit noms basques), un dérivé de Bienvenue chez les Ch’tis, avec l’opposition entre le Sud et le Nord et tous les clichés qui en découlent. Il y a aussi Santiago Segura, l’acteur-réalisateur de la série des Torrente basée sur le personnage d’un commissaire de police un peu crade. Personnellement, j’aime beaucoup Borja Cobeaga, un des scénaristes de Huit noms basques qui vient de réaliser Negociador (Le Négociateur), une comédie qui traite d’un thème sérieux, celui de l’ETA. C’est un film fascinant, et je le recommande aux lecteurs de CineComedies !
Qu’évoque pour vous la comédie à la française ?
Je pense immédiatement à Louis de Funès, un acteur que j’adorais enfant, puis adolescent. Il était d’origine espagnole, il avait aussi une manière de jouer très espagnole et j’ai du voir des dizaines de fois la série des Fantômas et des Gendarmes. Alfredo Landa, le roi de la comédie espagnole des années 1970, était du même gabarit… Actuellement, la comédie à la française a beaucoup de succès en Espagne. Depuis le succès d’Intouchables, beaucoup d’entre elles sont distribuées en Espagne. Pour nous, les étiquettes « comédie » et « française » sont des labels de qualité. Un peu comme le jambon espagnol.
Blancanieves était un conte muet en noir et blanc. Abracadabra est une comédie vive et colorée. À quoi ressemblera votre prochaine film ?
Quand j’étais enfant, on nous offrait des pochettes-surprises. On ne savait jamais ce qu’il y avait à l’intérieur. C’était mon cadeau préféré et j’aimerais qu’il en soit de même pour les spectateurs. En tout cas, on retrouve toujours trois ingrédients dans mes films : l’émotion, l’humour et la surprise. D’un point de vue visuel, il faut aussi que les choses soient différentes à chaque fois. Dans Torremolinos 73, on retrouvait les couleurs défraîchies des années 1970. dans Blancanieves, c’était le noir et blanc contrasté, pour Abracadabra, les couleurs contemporaines criardes… À chaque fois que je me lance dans un film, c’est un saut dans le vide. je ne sais jamais ce que je vais raconter et c’est ça qui m’intéresse.
Réalisation : Pablo Berger
Scénario : Pablo Berger
Casting : Maribel Verdú, Antonio De La Torre, José Mota, José Maria Pou, Quim Gutiérrez, Priscilla Delgado, Jullán Villagrán, Javivi, Saturnino Barea, Ramón Barea, Janfri Topera…
Musique : Alfonso de Vilallonga
Pays : Espagne, France
Durée : 1h33
Distribution : Condor
Page officielle
Dossier de presse
Synopsis : Carmen est mariée à Carlos, un conducteur de grue macho, fan de foot, qui ne lui prête plus guère attention. Après une séance d’hypnose dont il est le cobaye pendant un mariage, Carlos devient le parfait époux. Quelque chose a changé !
Propos recueillis par Christophe Geudin
Remerciements à Michel Burstein
Interprète : Victoria Saez