Michel Crémadès est de ces comédiens dont le public connaît parfaitement le visage, mais pas toujours le nom. Qu’importe ! Ce n’est pas une chose qui l’arrête. D’ailleurs, la soixantaine passée, il continue son petit bonhomme de chemin, comme à ses débuts, sourire aux lèvres et le regard empli de passion. Désormais, c’est sur les planches qu’il exerce principalement, parce qu’au cinéma « tout va trop vite » et que « les sujets manquent de consistance. » Tel est son regard sur la production actuelle, bien qu’il ne dirait pas non au réalisateur Guillaume Canet.
Dans cette attente, nous sommes allés à sa rencontre, boire un café, face au théâtre Saint-Georges à Paris. L’occasion d’évoquer quelques-uns de ses rôles passés ayant marqué l’histoire de la Comédie à la française. Une rétrospective placée sous le signe du culte !
Les Ripoux (Claude Zidi, 1984)
« Je sortais du Théâtre de Bouvard, qui marchait très fort. Le programme était suivi par des millions de téléspectateurs ! Je me souviens m’être fait engueuler par un restaurateur, une fois, à Cannes, qui disait : « À cause de votre émission, il n’y plus personne maintenant chez moi à l’heure de l’apéro ! Mais je suis ravi malgré tout, parce que je suis un grand fan ! » J’ai fait partie de cette troupe neuf mois, à peu près. Pas plus, car l’ambiance déclinait, certains commençaient à prendre la grosse tête, et puis je trouvais que c’était risqué de se cantonner à cela. J’avais donc choisi de m’envoler, partir au théâtre, au cinéma… Et un jour, je fus engagé sur une publicité Darty, pour une diffusion réservée aux salles de cinéma. Or, le hasard, si tant est qu’il existe, a voulu que Claude Zidi, accompagné de Didier Kaminka, tombent dessus. Et Zidi me repéra aussitôt : « Il faut absolument écrire un rôle pour le moustachu, là. Il est très drôle ! Je ne sais pas qui c’est, mais on va le retrouver…» Ils préparaient Les Ripoux. Ils m’ont retrouvé, le scénario m’a été transmis, et j’ai bien évidemment accepté d’y participer. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’est cette multitude de petits rôles qu’ils avaient imaginé. Encore que… je ne crois pas qu’il y ait de « petits rôles. » Il y a ce que l’on en fait, surtout ! Le personnage que j’interprète, s’il vole ce sac selon moi, c’est pour nourrir ses gamins. Il y a de l’humanité chez cet homme en définitive. Il fallait que ça se ressente. Et en même temps, la drôlerie demeure, car dès qu’on le relâche, il s’en va en courant (Rires). Je me suis dit aussi, en ce qui concerne la scène de l’interrogatoire face à Philippe Noiret, que je devais la jouer comme une caméra cachée. J’adore le principe de la caméra cachée. Le type ne comprend pas ce qu’il se passe, et il peut penser qu’il est chez les dingues !
Enfin, je dois énormément à la monteuse du film (Nicole Saunier, ndlr). Roland Giraud me l’avait fait remarquer : « C’est formidable, elle a eu l’intelligence de monter sur toi. » Il est vrai que, normalement, la scène aurait dû être montée sur Noiret. Là, non. Il pose une question, je réponds, et on reste sur moi. C’est basique, mais ce n’était pas évident au départ. On a donné au personnage une importance que d’autres auraient peut-être sacrifié. Et on m’en parle encore, pratiquement tous les jours ! »
Le Téléphone sonne toujours deux fois !! (Jean-Pierre Vergne, 1985)
« J’avais quitté le Théâtre de Bouvard, mais l’émission n’était pas encore arrêtée. Et Le Téléphone sonne toujours deux fois !! était un prétexte pour surfer sur cette vague, l’idée première étant de réunir quelques membres de la troupe. En tant qu’ex-pensionnaire, je fus donc convié à les rejoindre. Ce film, réalisé par Jean-Pierre Vergne, avait été écrit à plusieurs mains, même si Didier Bourdon apparaissait clairement comme le meneur. Il était, de mon point de vue, un des meilleurs, si ce n’est LE meilleur de la bande à Bouvard, aussi bien dans le jeu que dans l’écriture, la gestion des choses, etc. Nous avions travaillé sur des sketches, auparavant, et c’était un bonheur. Il a un regard sur le monde… extraordinaire ! Pour en revenir au Téléphone… je crois qu’il est sorti un peu trop en avance, cet esprit décalé n’avait toujours pas trouvé sa place en France.
Le Bonheur a encore frappé ! (Jean-Luc Trotignon, 1985)
Pareil pour Le Bonheur a encore frappé ! Les gens n’ont pas compris. C’est dommage. Personnellement, j’aimais beaucoup la folie de ce projet, son humour déjanté, c’est ce qui m’a attiré. Je connaissais également Jean-Luc Trotignon, le réalisateur. J’avais déjà tourné un téléfilm avec lui. À présent, il est dans la politique. Il a complètement abandonné le cinéma. »
Ripoux contre Ripoux (Claude Zidi, 1989)
« Claude Zidi souhaitait que je sois dans ce film pour faire un clin d’œil au premier. Seulement, autant dans Les Ripoux j’étais essentiellement assis, autant pour celui-ci je dus courir. On me voit passer d’une rue à une autre, puis encore une nouvelle, et ainsi de suite, avant que les deux vedettes ne me cueillent. Ce sont de grands souvenirs. Philippe Noiret, quel acteur ! Généralement, quand je tournais une scène en sa présence, la caméra était d’abord sur lui, sur moi après, et rien ne changeait dans son jeu : qu’il soit à l’image ou non, il interprétait son personnage de la même manière. Le troisième volet (Ripoux 3, 2003) ne m’a pas été proposé. C’est la raison pour laquelle je n’y figure pas. Mais curieusement, en marge de sa sortie, je me suis retrouvé tout près de Zidi, dans un restaurant, à Paris, où je déjeunais. Amicalement, je me suis donc approché pour le saluer. Une discussion s’en suivit : « Alors, le film démarre comment ? » Il répondit : « Pas terrible. » J’enchaînai : « Ah… Note bien que si javais été dedans, il aurait cartonné ! Je suis un porte-bonheur. » (Rires) Il eut un sourire légèrement pincé. »
Promotion canapé (Didier Kaminka, 1990)
« À l’instar des Ripoux, voilà encore un film et un rôle dont on me parle toujours ! Il faut dire qu’en plus du casting – excellent – Promotion canapé était réussi, et juste. Didier Kaminka a été aidé dans l’écriture par deux types qui avaient bossé à La Poste. Et ils lui en ont raconté ! Promotion canapé fut ensuite projeté à l’élite de cette fameuse entreprise, et ces derniers avaient trouvé l’ensemble « assez drôle » tout en ajoutant : « On est loin de la réalité, mais c’est amusant. » Il n’empêche, plus tard, il y eut davantage de surveillance, et on a découvert bon nombre de trafic. Bref ! Je garde pour ma part un super souvenir de ce tournage, on prenait le temps de faire, d’être ensemble. Malheureusement, ça ne fonctionne plus comme ça. Désormais, il faut aller vite. Je regrette que Didier Kaminka ait arrêté… Il avait quelque-chose, même s’il est peut-être plus plume que mise en scène. »
Les Visiteurs 2 : Les Couloirs du temps (Jean-Marie Poiré, 1998)
« Je jouais au théâtre, Drôle de couple, en compagnie notamment de Marie-Anne Chazel. À l’époque, elle vivait avec Christian Clavier, et il venait la voir souvent car il adorait la pièce. Un soir, où nous dînions ensemble, Christian m’informa : « Je suis en train de t’écrire un truc là, dans Les Visiteurs 2, ça va être tartiné ! » Le connaissant, je craignais le pire… (Rires) Évidemment, j’étais ravi d’intégrer cette aventure, même s’il y avait une certaine pression. D’abord, le film était très attendu, puis, surtout, je devais chanter… sans savoir quoi ! Avec Jean-Marie Poiré, c’est : « Moteur ! Action ! On tourne ! » Toujours speed. L’orchestre demandait : « Mais on joue quoi ? » Poiré : « Jouez n’importe quoi, on verra… » Par moment, on était dans l’impro totale. Sur une prise, par exemple, j’ai eu cette réplique, qui n’était pas prévue : « Oh non merde ! Un micro à 3000 balles ! » Et Poiré, à la fin, cria : « Ah oui, génial ! On la garde celle-là ! » Voilà, c’était ça Les Visiteurs 2 ! Et Jean Reno, adorable ! Marie-Anne, que je connaissais déjà donc, aussi ! Nous avons bien rigolé. Je me souviens d’un tour que j’avais joué à Clavier, une fois… Le tournage se passait dans un superbe château, en région parisienne. Il faisait beau, nous étions dans l’herbe, avec dame Ginette et Jacquouille. Je me suis malicieusement approché de Marie-Anne pour la prévenir de ce que j’allais faire, et elle s’en inquiéta aussitôt : « Oh non, ne me l’énerve pas… » Je ne l’ai pas écoutée pour autant, clamant haut et fort : « Quand je pense que l’on a des communistes au gouvernement ! » En disant cela, je savais que j’appuyais sur le petit bouton qui allait tout faire exploser. Et ça n’a pas loupé (Rires). »
Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (Alain Chabat, 2002)
« Vu mon physique, interpréter Triple-Patte était une évidence ! Au-delà, ce fut un réel bonheur de travailler avec Alain Chabat. Il faut savoir que c’est un homme qui dit bonjour à tout le monde. C’est loin d’être toujours le cas, et j’apprécie cela énormément. Nos scènes ont principalement été filmées à Malte, et l’équipage du navire – en-dehors de Bernard Farcy, Mouss Diouf, Sophie Noël, Philippe Chany, plus moi-même – était constitué de gens locaux. Une rencontre exceptionnelle ! Nous nous sommes tellement bien entendus qu’à l’issue du tournage, ils étaient en pleurs, et nous également. Ils nous ont offert à chacun un tee-shirt avec une tête de pirate derrière, et l’inscription : « Send the wind, send the waves. » C’est ce que hurlait Chabat pour mettre en action les vagues et le vent autour du bassin artificiel sur lequel nous étions. Lorsque nous nous apprétions à partir pour le Maroc ensuite, Chabat a demandé à emmener l’équipe dans sa totalité. La production, elle, était plutôt réticente. Ce n’était pas prévu comme ça. Et douze billets aller/retour supplémentaires, sans compter les frais sur place, cela ne leur plaisait guère. Chabat a insisté, au prétexte qu’il avait besoin de TOUS ses pirates avec lui. La prod’ a cédé, et nos Maltais étaient aux anges. Entre le voyage en avion et le bel hôtel, ça a été une vraie fête pour eux. Nous sommes arrivés une semaine avant les vedettes principales, Christian Clavier, Gérard Depardieu, Jamel Debbouze, Claude Rich, et quand ils nous ont rejoint, nous avons fêté leur premier jour de tournage. Belle ambiance ! Gérard, à son haleine, je sentais qu’il devait déjà avoir au moins douze grammes dans le sang. Il faisait 40°C à l’ombre, et il tenait quand même debout ! En plus, il sortait d’une opération. Mais, d’emblée, il me dit : “Allez, viens, on va boire un verre. Ou peut-être deux !” (Rires) »
Le Boulet (Alain Berbérian, 2002)
« Ah ! Une fois de plus, un rôle dont on me parle sans cesse ! Souvent, dans la rue, on m’interpelle, sans trop savoir quel nom employer : « Ramirez ! Fernandez ! Martinez ? » Non, c’est Martinet ! (Rires) Je reste relativement pantois devant un tel « culte. » Marquer à ce point, alors qu’on m’y voit si peu ! Ceci étant, au départ, je n’avais que deux scènes à tourner, et finalement, on me rappella un peu plus tard : « Michel, on a ajouté une scène pour toi, dans l’ascenseur, au Maroc. Tu apparais lors du grand règlement de compte, vers la fin. » Très bonne idée ! Je n’étais d’ailleurs pas opposé au fait de repartir pour le Maroc (Rires). « Quand dois-je vous rejoindre ? » demandais-je. Jamais ! Effectivement, cela s’est fait en région parisienne… Ce qui m’a principalement attiré sur ce projet, c’était la présence de Benoît Poelvoorde. Je voulais voir s’il était aussi dingue qu’on le prétendait. Je n’ai pas été déçu ! La séquence à l’aéroport nous a pris une demi-journée. En cause : la déconne… et ses trois cent idées par seconde. Mais à chaque fois, c’était drôle ! Comme avec Daniel Prévost. J’ai joué avec lui au théâtre. Pour son entrée sur scène, il avait trouvé douze versions possibles. Et peut-être une ou deux étaient à jeter ! C’est ce que l’on appelle l’invention, le génie. »
Micmacs à tire-larigot (Jean-Pierre Jeunet, 2009)
« Au début, c’est Jamel Debbouze qui devait tenir le rôle principal, mais ça ne s’est pas fait. À deux mois du tournage ! Le casting a donc dû être remodelé en fonction… Pour ma part, la rencontre avec Jean-Pierre Jeunet a été assez incroyable. Je vous raconte : le jour où nous avions rendez-vous, je sors de chez moi, et j’aperçois une très belle canne au milieu des poubelles. Je m’en empare, ne comprenant pas comment on peut abandonner un tel objet, qui a forcément une histoire, et commence à jouer avec, tout en poursuivant ma route. Une fois arrivé au lieu-dit, nous discutons avec Monsieur Jeunet, il me présente le personnage pour lequel j’ai été convoqué, puis il pose son regard sur la canne. Intrigué, il me demande si je suis blessé, ce qui pourrait être un handicap sur ce tournage. Je réponds que non, et lui explique la chose. Il reste scotché ! N’ayant pas encore lu le scénario, il précise : « Micmacs à tire-larigot, c’est l’histoire de plusieurs personnages qui récupèrent des objets dans les poubelles. » Tout était dit. Nous avons eu ce sentiment réciproque d’une évidence. Lui et moi, ça devait se faire. Il me filme dans la foulée, au travers d’expressions diverses : « Vous êtes triste. Curieux, maintenant. Là, vous portez un objet lourd, mais sans que cela paraisse trop lourd pour vous… » Au bout de deux minutes, il coupe : « Pourquoi est-ce que je ne vous ai pas rencontré plus tôt ? Je vous aurais mis dans tous mes films ! » J’en rêvais moi-même depuis longtemps. Seulement, je ne suis pas du genre à aller boire des coupes de champagne sur les Champs-élysées, alors forcément, ma carrière en a subit les conséquences.
L’histoire ne s’arrête pas là : avant moi, Jeunet avait aussi pensé à Pierre étaix, et m’en informe sans détour. Or, il se trouve que je suis dingue d’étaix. J’ai visionné Yoyo au moins une trentaine de fois ! J’insiste donc auprès de Jeunet pour qu’il l’engage à ma place, et il n’en revient pas ! Recommander un concurrent, pour lui, c’était du jamais vu. Il demande cependant à réfléchir. Nous étions vendredi matin, et il me promet d’appeler le lundi qui suit. Très bien. Je repars avec ma canne. J’arrive chez moi, le téléphone sonne. C’est Jean-Pierre Jeunet : « J’ai pris ma décision, c’est vous ! C’est comme ça ! » Et les essais maquillage ont eu lieu dans la foulée. Sur le plateau, ensuite, il nous regardait avec des yeux brillants… Croyez-moi, nous étions tous heureux d’être là ! C’est une enchantement de travailler avec des gens qui aiment leur métier, et qui sont passionnés à ce point. »
Case départ (Lionel Steketee, Fabrice Eboué & Thomas Ngijol, 2011)
« C’est Fabrice Éboué qui m’a appelé, je crois, pour me proposer ce film. Nous en avons parlé, et j’ai dit oui, bien sûr… Au début, je craignais un règlement de compte simpliste sur le thème du racisme, puis il m’a suffi de lire le scénario complet pour être rassuré. Avec Case départ, on est dans l’irrévérence, mais c’est toujours fait avec intelligence. D’ailleurs, Lionel Steketee, qui accompagnait Fabrice et Thomas à la réalisation, était bon. Très sympa, aussi ! Et nous avons passé un mois à Cuba… Un bonheur ! »
« Aujourd’hui, le cinéma me sollicite moins, et j’en suis ravi. J’ai trop peur des mauvaises propositions. Et les séries, ce n’est pas mon truc. Je suis passé à la retraite il y a peu. Je n’ai plus à courir. Selon ce qui vient à moi, j’accepte ou non. J’ai ce luxe, et la chance d’avoir connu une belle époque. Maintenant, tout n’est que bonus…
Le mot de la fin ? Quand on me le demande, je donne ces deux conseils aux jeunes qui veulent faire ce métier. Un : arrêtez de prendre des cours d’art dramatique. Ça ne sert à rien. C’est bouché. Et c’est une galère. Deux : continuez, car c’est le plus beau métier du monde ! »
Propos recueillis par Gilles Botineau