En 1969, Brigitte Bardot tournait dans le Vexin l’un de ses plus jolis films, L’Ours et la poupée, une comédie sophistiquée dans la lignée des « Screwball Comedies » des années 1940 avec Cary Grant et Katharine Hepburn, sur des dialogues de Nina Companeez et une réalisation de Michel Deville. Alors qu’elle a fêté le 28 septembre 2014 son quatre-vingtième anniversaire, se souvient-elle qu’elle fit du stop un jour pour se rendre sur le tournage ?
« Le Vexin Français offre, par rapport à l’Est de l’Île-de-France, une campagne plus intéressante, avec de nombreux vallons », raconte volontiers le cinéaste Michel Deville. C’est pour cette raison, sans doute, que sa dialoguiste fétiche – Nina Companeez – et lui-même ont souvent utilisé cette région pour y camper l’intrigue de leurs films. Ainsi, en juin 1969, ils investissent les bords de l’Epte pour y mettre en scène L’Ours et la poupée.
Initialement prévu pour Jean-Paul Belmondo, l’ours est finalement interprété par Jean-Pierre Cassel. « Le film a gagné en authenticité et en sensibilité, si je peux m’exprimer ainsi, ajoute le cinéaste. Il n’était plus un match entre deux stars mais une opposition entre deux mondes différents, la star – Brigitte Bardot – et l’anti-star. Le couple Bardot-Belmondo aurait infléchi la comédie dans un autre sens. »
La comédienne a accepté de donner ses traits à Félicia, belle femme excentrique et snob, riche et écervelée, qui s’entiche d’un pauvre violoncelliste, amoureux des jardins, lors d’un accident entre sa Rolls et la 2CV du musicien. Loin de vouloir la changer, Deville n’hésite pas à tirer partie de sa panoplie de charme. Il ne lésine pas sur les scènes « mouillées » qui ont fait sa réputation. Cette fois, c’est d’une variante baignoire ronde et bain moussant qu’il s’agit…
Brigitte est alors au sommet de sa gloire, star interplanétaire, au point que Charles de Gaulle a déclaré l’année précédente qu’elle rapportait autant de devises que Renault à la France. Séduit par son franc-parler et sa bonne humeur, le général lui a proposé d’être le modèle du buste de Marianne, exposé dans toutes les mairies de France. Elle devient alors la première femme à incarner les traits du symbole français, son portrait étant sculpté par Aslan. Elle a aussi défrayé la chronique par ses sautes d’humeur lors des tournages précédents et par ses amours commentées dans la presse à scandale. On dénonce ses caprices de star et autres incartades, et Michel Deville s’inquiète lorsque démarrent les premières prises de vue de L’Ours et la poupée. Toute l’équipe se retrouve à Chérence, dans une ferme où a été établi le quartier général de la production. Les propriétaires sont aux petits soins dès le réveil de Brigitte et ces prévenances la touchent jusqu’aux larmes, au point qu’elle conservera des relations avec eux, bien des semaines plus tard.
Du stop en pleine campagne
Un assistant stagiaire vient la chercher chaque matin. Un jour, il ne s’est pas réveillé. « Brigitte attendait au bord de la route, ennuyée d’être en retard sur le plateau, se souvient Deville. Elle est partie à pied, a fait de l’auto-stop et est arrivée très fâchée. “Michel, ce n’est pas de ma faute, dit-elle, il n’est pas venu !” Je ne connais pas d’autres acteurs qui auraient fait du stop en pleine campagne comme BB, pour être simplement à l’heure. »
Aujourd’hui, il est temps de faire un appel à la population : mais qui donc un jour eut le privilège rare de faire monter dans sa voiture la fiancée préférée des Français ? Imaginez-vous Catherine Deneuve ou Isabelle Adjani attendant sur le bord du chemin, le pouce tourné vers la route, qu’un automobiliste veuille bien s’arrêter ? Même pas en rêve !
Un autre jour, l’équipe tourne dans un champ. Brigitte s’est trompée pour venir, en faisant un grand détour et est arrivée presque en larmes : « Michel, j’étais à l’heure, je le jure… » La Bardot qui avait l’habitude de tout se permettre, ici ne se permettait rien. Il faut dire qu’elle tourne dans une ambiance sereine qui tranche avec ses expériences passées. Michel Deville sait tellement ce qu’il veut, qu’il finit par l’obtenir, dans une atmosphère de calme et de détente. Les acteurs répètent très peu, pour le plus grand plaisir de BB. Ils réalisent un plan qui sert de répétition au suivant et, rien que d’entendre « moteur ! », il se passe à chaque fois quelque chose.
À Montreuil-sur-Epte, plusieurs centaines de badauds assistent à la scène de la vache : « Are you a girl or a boy ? ». En robe longue, décolletée, la Poupée cherche alors un pont sur la rivière afin de fuir l’implacable destin qui la mène vers l’ours. Une autre fois, elle s’assied au bord de l’eau et trempe ses pieds dans la rivière, fraîche. L’actrice, avec une infinie gentillesse, accepte aisément de rencontrer tous ses fans et confie même quelques mots à un journaliste local. « J’ai pris beaucoup de plaisir à tourner ce nouveau rôle et, surtout, je suis enchantée de me trouver dans une région si agréable et quasi reposante. » Et, joignant le geste à la parole, elle en profite pour faire une ample provision de menthe sauvage, d’iris jaune… et de trèfles à quatre feuilles. Les gendarmes de Magny et de Chérence assurent pendant cette cueillette une discrète surveillance afin d’écarter les admirateurs.
Une complicité s’instaure très vite entre la star et Nina Companeez. Les deux femmes ont presque le même âge – une petite trentaine d’années – et la comédienne a été littéralement séduite par les dialogues du film, cette réussite concourant à rendre l’ambiance particulièrement agréable. « Les dialogues sont fantastiques, justifiait Brigitte à l’époque. Il n’y a pas un mot d’explication, c’est toujours en situation et Tchac ! Paf ! Ça part ! C’est la première fois qu’un film me correspond aussi bien, c’est vraiment comme si c’était moi dans la vie. Nina ne me connaissait pas, quand elle l’a écrit, et pourtant j’ai eu l’impression de me sentir toute nue, tant les dialogues m’allaient comme un gant et tant j’ai vécu des situations analogues. »
L’Ours et la poupée sort en grandes pompes le 4 février 1970. En pleine promo, Brigitte Bardot rejoint Lino Ventura en Andalousie pour les besoins de Boulevard du rhum (Robert Enrico, 1971) puis Claudia Cardinale, sa consœur des Pétroleuses (Christian-Jaque, 1971). Ensuite, elle retrouve Nina Companeez pour L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot trousse-chemise. Sorti sur les écrans le 25 octobre 1973, cette comédie est le premier long-métrage en tant que réalisatrice de Companeez et le dernier film de Brigitte Bardot. Après 21 ans de carrière, près de cinquante films et quatre-vingt chansons, n’en pouvant plus de cette sur-médiatisation et du cinéma, elle se retire définitivement du septième art.
Aujourd’hui, je dévisage chaque autostoppeuse que je croise. On ne sait jamais, il paraît que Juliette Binoche n’a pas de voiture !
par Patrick Glâtre