Le 22 novembre 1978 sort sur les écrans le premier film du Splendid, Les Bronzés, adapté – avec l’aide de Patrice Leconte – d’une de leurs pièces maîtresses, Amour, coquillages et crustacés. En résulte un joli succès : 2.308.644 spectateurs ! La troupe étant à cette époque encore peu connue, un tel score frise l’euphorie.
En cette même année, Les Bronzés marche donc presque aussi fort que le nouveau Pierre Richard, acteur, scénariste et réalisateur de Je suis timide mais je me soigne (2.534.708 entrées), ou accompagné de Gérard Oury : La Carapate (2.923.257). Mieux : il distance Les Charlots, certes à bout de souffle, dans Et Vive la Liberté de Serge Korber (1.277.646 entrées), Bertrand Blier avec Préparez vos Mouchoirs (1.321.087), le Tendre poulet façon Philippe de Broca (1.790.827), Philippe Clair et ses Réformés se portent bien (958.236).
Bref, le constat est limpide : un vent frais souffle sur le cinéma français. Christian Clavier en dissèque le secret : « Dans Les Bronzés, il y a plusieurs couches de lecture. D’un côté, nous montrons qu’il est plutôt sympathique de se rendre au Club Med et, en même temps, nous rions beaucoup des personnages qui s’y trouvent. D’une certaine façon, nous nous moquons pas mal de nous-même. De fait, la satire passe. C’est pour cela que nous avons rencontré les gens de notre génération ; ce que nous faisions leur parlait. Toutefois, je ne pense pas que les gens rient d’eux, car on rit rarement de soi quand on regarde un film. En revanche, on a toujours l’impression que c’est son cousin, son voisin, son oncle ou son frère. Jamais soi-même ! Mais ça revient à ça. »
Le producteur Yves Rousset-Rouard, financier éveillé (et oncle de Clavier), flaire le jackpot. Sur le principe des Charlots – Les Bidasses en Folie, Les Bidasses s’en vont en Guerre… – propriété de Christian Fechner, ou du Gendarme de Saint-Tropez et ses cinq suites avec Louis de Funès, le producteur ourdit un pressurage sans limite : Les Bronzés et les Bronzettes, Les Bronzés font l’Algérie, Les Bronzés et le Nucléaire… À cette annonce, les cheveux du Splendid se hérissent. Cette velléité va à contre-sens de leur ambition. Malheureusement, la troupe ne pèse pas lourd face à l’homme qui se trouve être derrière le triomphe récent d’Emmanuelle (8.893.996 tickets vendus en 1974), et, faute d’échappatoire, elle agrée la convention « Rousset-Rouard » : du coup, en route pour les sports d’hiver ! Après les vacances estivales, Les Bronzés font du ski coule de source… ou presque.
L’équipe s’oriente de prime abord vers un film « humoristico-catastrophe » avec accident en haute-montagne et une poignée de survivants dévorant des cadavres ! Rousset-Rouard est atterré… Quel rapport avec Les Bronzés, premier du nom ? Cultivant son iniquité, il transige : 80% d’humour frivole à sa convenance (leçons de ski poussives, chutes dans la neige, serrure dégelée à l’urine…), 20% de hors-piste, et une tournure virant potentiellement au noir.
Seulement, le Splendid, lui, continue de traîner la patte. En guise de « rébellion », la troupe prend alors à cœur de saborder le projet de l’intérieur, ajoutant au potache et au burlesque une tonalité finement grinçante sur l’ensemble du script. En comparaison avec le précédent opus, les travers des personnages gagnent ainsi en épaisseur, et tous se révèlent à présent affreux, au-delà de l’imaginable : Jérôme Tarayre traite sa femme avec une inconsidération dogmatique ; Popeye devient de plus en plus bête ; Jean-Claude Dusse alterne entre lose extrême et obsession sexuelle gênante. Quant à Bernard et Nathalie, on les croirait tout droit sortis du film Les Monstres de Dino Risi, capables de jeter un jeu de scrabble par la fenêtre ou de s’insulter ouvertement (« Merci Bernard ! C’est une blague de crétin, ça ! ».
Une insolence rare et surprenante pour un script français, qui cache en vérité un ennui réel de la part des auteurs à exécuter la tâche demandée. Du coup, ils se lâchent. Même si, parfois, quand l’inspiration manque à l’appel, ils ont recours aux facilités les plus éhontées (la séquence du « crapaud fermentant au fond d’une bouteille », pour ne citer qu’elle, est issue du Père Noël est une Ordure ! la pièce… créée un mois auparavant sur scène). En outre, le script est en majeure partie développé par Clavier, Lhermitte et Jugnot, leurs confrères préférant désormais prêcher individuellement pour leur paroisse, depuis que les projets se multiplient. Ce qui en dit long sur leur degré d’investissement en faveur de ce Bronzés n°2.
Le tournage venu, rien ne s’arrange : tous débarquent à Val-d’Isère, le vague à l’âme. Et cela s’en ressent. Lorsqu’ils ne travaillent pas, ils se répartissent dans des hôtels distincts, la plupart en quête de calme et de solitude. Josiane Balasko profite de ses soirées et jours off pour plancher avec Jean-Marie Poiré sur le scénario de Retour en force, deuxième réalisation du metteur en scène après Les Petits câlins (1976). Dominique Lavanant, qui ne fait pas officiellement partie du Splendid et que l’on surnomme « Mamie », vit très mal cette situation. Elle se sent seule et envisage sérieusement de quitter le tournage. Bonjour l’ambiance.
À cela s’ajoutent les conditions naturelles propres au décor et à la saison. Une contrainte supplémentaire non négligeable, comme le souligne Michel Blanc : « En Côte d’Ivoire, c’était marrant, parce que dès qu’on disait « COUPEZ ! », on pouvait piquer une tête dans la piscine. Pour Les Bronzés font du ski, c’était plus compliqué. Surtout pour les plans de nuit. Quand il fait moins dix degrés, les fous rires sont rares. Les fourrures non, mais les fous rires oui. » Yves Rousset-Rouard surenchérit : « La production établissait chaque soir deux feuilles de service, une en cas de beau temps, une en cas de tempête de neige. On imagine facilement les conséquences financières mais aussi artistiques d’un tournage effectué dans ces conditions. Sans compter la fatigue nerveuse. »
Il n’empêche, chacun tente de donner le meilleur, en dépit de tout problème personnel. Si certains, par exemple, ont beaucoup de mal à glisser convenablement sur une piste, quelle qu’en soit la couleur, ils s’en accommodent néanmoins ou, à l’occasion, se font remplacer par un cascadeur, à l’instar de Josiane Balasko, censée se vautrer dans la poudreuse lors d’une prise cruciale. Des années durant, elle prétend être à l’origine de cet « exploit », jusqu’à ce que Patrice Leconte finisse par rétablir la vérité en novembre 2019 sur le plateau de l’émission C à vous : « Josiane n’avait jamais été à la montagne avant ce film. Elle raconte à qui veut l’entendre qu’elle a fait cette cascade. Elle a skié, mais là, ce n’est pas elle. C’était un peu risqué, donc on a pris une fille qui était monitrice de ski et qui est tombée à sa place. »
En revanche, c’est bel et bien Christian Clavier qui affronte Copain, le « redoutable cochon anémique. » La mise en place de ce face à face d’anthologie s’organise au sein d’un appartement privé, sans que le propriétaire, absent au moment des faits, ne soit averti de la présence chez lui d’un tel animal. Et ce qui devait arriver arrive. Le porcin, endormi pour les besoins de la séquence, déplacements compris, recouvre progressivement ses esprits, ce qui angoisse Christian, incorrigible craintif. Le vétérinaire réquisitionné ne le rassure guère : « Un cochon endormi – et se réveillant – est encore plus méchant, plus con, qu’un cochon à l’état normal. » Et on ne peut lui administrer une dose ampliative, cela le tuerait. En somme, les minutes sont comptées. Clavier, conscient du « danger », se lance sans réfléchir et enchevêtre les sentiments en un temps record : la peur, la colère, le rire, puis clôture par une menue réplique, divinement exécutée : « BOU-FFEZ-LE ! » afin de pouvoir passer rapidement à autre chose. D’une contrainte naît souvent le génie.
Pour autant, ces aléas ne font pas que de ce tournage un enfer. Nombreux sont ceux qui en conservent un souvenir joyeux, à commencer par Jean-François Robin, le chef opérateur, qui tente d’égayer le plateau de blagues diverses (il parvient notamment à faire croire que Dominique Lavanant a vraiment une liaison avec Maurice Chevit, l’inoubliable Marius du film). Et, entre deux prises, il se délecte du spectacle privilégié que lui offrent au quotidien les différents protagonistes, principalement lorsque ceux-ci enchaînent dégustation de « fougne » – un met conçu avec des restes de fromages – et liqueur d’échalotes. Patrice Leconte confirme au micro d’un journaliste du magazine Première : « On a pleuré de rire en tournant ça. Jean-François Robin fermait un œil pour regarder dans la caméra, et je voyais des larmes de rire couler. Il devait se contrôler pour ne pas faire trembler la caméra, car il avait des soubresauts de rire. »
Car, l’air de rien, Clavier, Jugnot, Lhermitte et les autres se sont tout de même réservés des situations de comédie hautes en couleur (le fil dentaire dans la fondue, Jean-Claude Dusse bloqué sur un télésiège en pleine nuit, le refuge partagé avec les Italiens, etc.). Plus que nécessaire ? Apparemment. En postproduction près de quarante minutes finissent à la poubelle, ce que regrette aujourd’hui vivement Patrice Leconte (on ne pensait pas aux « bonus DVD » à ce moment-là). Parmi les victimes, Martin Lamotte, apparaissant lors d’une dispute mémorable entre Jean-Claude, Popeye et Jérôme, un soir, aux abords d’une discothèque : « Patrice m’a appelé lorsqu’il faisait le montage, se remémore Lamotte. Et il m’a dit : « Écoute, on a un gros problème. Le film est trop long (2h10, ndlr). Et ta scène pourrait faire partie de celles susceptibles d’être coupées, parce que cela ne dérange pas l’histoire. » Je lui ai répondu : « Ok ! Bah… tant pis. » (Rires) Je ne l’ai pas mal pris car il avait au moins eu la délicatesse de me prévenir, ce qui n’est pas le cas de tous. Même si, à l’arrivée, on s’est gelé les miches pour rien ! »
Une partie de la troupe du Splendid de retour à Val d’Isère pour les 40 ans du film – 11 janvier 2020
À sa sortie le 22 novembre 1979, Les Bronzés font du ski perd près d’un million de spectateurs par rapport au premier volet. Huit mois plus tôt, Les Givrés, ersatz sans saveur bâclé par Alain Jaspard, avec Sophie Daumier, Henri Guybet et Charles Gérard, en a légèrement déprécié le concept. Toutefois, et à l’inverse des Bronzés, cette seconde aventure témoigne d’un fanatisme croissant au fil de ses rediffusions télévisées. D’ailleurs, l’hiver, sur les pistes, il n’est pas rare d’entendre, au détour d’un télésiège, un « La neige, elle est trop molle pour moi ! » ou encore le fameux refrain « Quand te reverrais-je ? Pays merveilleux ! Où ceux qui s’aiment, vivent à deux ! », entonné par Jean-Claude Dusse/Michel Blanc. Culte jusqu’au bout du bâton !
par Gilles Botineau
À lire aussi :
Gilles Botineau, Christian Clavier, Splendid carrière ! (Christian Navarro Éditions)
Christophe Geudin et Jérémie Imbert, Les Comédies à la française (Fetjaine)
Philippe Lombard, Le Petit livre des Bronzés (First Éditions, 2016)
Alexandre Grenier, Génération Père Noël, du Splendid à la gloire (Belfond, 1994)
Gérard Jugnot, Une époque formidable, mes années Splendid’ (Grasset)
Patrice Leconte, Je suis un imposteur (Flammarion, 1998)
Alexandre Raveleau, Michel Blanc, sur un malentendu (Hors collection, 2017)
Yves Rousset-Rouard, Profession producteur (Calmann-Lévy, 1979)
Dossier de presse Les Bronzés font du ski
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