Au Mexique, un espion est dévoré par un requin dans une cabine téléphonique. Dépêché par les autorités pour préserver « l’avenir du monde libre », Bob Saint-Clar, un super-agent secret international, se rend sur les lieux pour enquêter. Sur place, son altercation avec l’armée du cruel colonel Karpof est perturbée par… un aspirateur ! L’appareil électroménager appartient à Mme Berger, la femme de ménage de François Merlin, l’auteur des aventures imaginaires de Bob Saint-Clar pour qui la fiction se heurte avec fracas à l’implacable routine du quotidien.
Les vingt premières minutes du Magnifique, nouvelle collaboration entre Jean-Paul Belmondo et Philippe de Broca, après Cartouche, L’Homme de Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine, sont les plus spectaculaires et luxuriantes du cinéma comique de l’époque. En opposant les aventures exaltantes de l’espion viril et charmeur aux déboires de son double inversé, l’écrivain hirsute et dépenaillé, le cinéaste signe un de ses meilleurs longs-métrages qui, avant de devenir Le Magnifique, a eu pour titre Raconte-moi une histoire, puis Comment détruire la réputation du plus célèbre agent secret.
« Je voulais tourner une parodie de la violence, du sadisme, du sexe et de la cruauté, raconte à l’époque Philippe de Broca. Je voulais me venger de tout ce que je n’aime pas dans le cinéma d’aujourd’hui, faire un sort à ces héros que l’on voit mourir en tombant au ralenti et qui pissent le sang comme des fontaines. » Encore marqué par l’insuccès de La Poudre d’escampette (1971) et de Chère Louise (1972), le metteur en scène est approché par le producteur Alexandre Mnouchkine. Ce dernier lui présente un script de Francis Veber. D’abord peu emballé par l’idée de départ du scénariste, de Broca finit par être séduit par l’histoire d’un créateur dévoré par son héros de papier. En compagnie de ses fidèles Daniel Boulanger et de Jean-Paul Rappeneau, Philippe de Broca modifie le scénario, ce qui rendra Veber fou de rage. « C’est un sujet que j’aime beaucoup et qui me tenait particulièrement à cœur, dira Veber plus tard. Cet auteur qui se prend pour ses personnages, c’est un peu moi. Mais je n’ai vraiment pas aimé la façon dont il l’a réalisé. Mon plus mauvais souvenir de scénariste a un nom : Philippe de Broca. Je dois pourtant le remercier, car il fut un de ceux qui me poussèrent le plus efficacement à mettre en scène mes films moi-même. » En guise de représailles, le scénariste vedette de L’Emmerdeur et du Grand Blond avec une chaussure noire demandera que son nom soit retiré du film. Observez bien le générique du Magnifique : aucun scénariste ni dialoguiste n’y figure !
Passé cette querelle interne, le casting démarre et une grande interrogation repose sur l’identité de l’actrice qui partagera la tête d’affiche aux côtés de Belmondo. Pour interpréter le double rôle de Christine, l’étudiante en lettres, et de la beauté exotique Tatiana, c’est Jacqueline Bisset, remarquée par Mnouchkine dans La Nuit américaine de François Truffaut, qui est choisie.
« Nous étions nombreux à nous demander si elle serait vraiment crédible en Tatiana, la femme fatale de rêve, raconte le maquilleur Charly Koubesserian. Le jour où je l’ai maquillée en Tatiana, je me suis rendu compte que cette fille, qui a des yeux superbes et possède un magnifique sourire, pouvait aller très loin dans la séduction. Sur elle, quel que soit le maquillage, rien ne devient jamais vulgaire. Ainsi est-elle parfaitement capable de devenir une séductrice ravageuse, une vamp dans le sens pur du terme, et l’instant d’après, avec un autre maquillage, redevenir l’étudiante tranquille. » Inversement, Jacqueline Bisset déclarera après le tournage : « Si j’avais vu les films de Philippe avant de tourner avec lui, au lieu de l’emmerder en lui demandant les motivations de mon personnage, je lui aurais foutu la paix, et j’aurais joué comme une petite silhouette de dessin animé. »
Étalé entre Paris et le Mexique de mars à juin 1973, le tournage n’est pas une partie de plaisir non plus pour le cinéaste. L’équipe débarque à Acapulco en pleine saison des pluies, et le cadre enchanteur imaginé par Philippe de Broca ressemble plus à la côte picarde en automne qu’aux lagons tropicaux. « Il n’y avait plus que des palmiers avachis, une végétation toute grise, moche. Je ne savais plus où mettre la caméra », racontait-il. La fameuse scène du requin dans la cabine téléphonique imaginée par Francis Veber a nécessité huit jours de travail. Lors de la séquence où Jean-Paul Belmondo saute par-dessus la portière de sa Ford décapotable, le comédien se foule gravement la cheville et provoque deux semaines d’interruption de tournage. Le pauvre Jean Lefebvre n’est pas en reste en évitant de peu la syncope le jour où les accessoiristes bardent son costume d’explosifs. « Au moment où de Broca était sur le point de dire “moteur”, j’ai vu le type qui était derrière la caméra faire le signe de croix ! », racontait l’éternel souffre-douleur de Lino Ventura.
Et, enfin, un grand coup de sombrero à Monique Tarbès, qui a effectué l’aller-retour Paris-Mexico dans la même journée pour figurer dans la scène du carnage sur la plage de Puerto Vallarta.
À sa sortie dans les cinéma hexagonaux le 23 novembre 1973, la parodie de film d’espionnage de Philippe de Broca attire 2.803.412 spectateurs et devient le troisième plus gros succès du cinéaste derrière L’Homme de Rio (4.800.626 entrées) et Cartouche (3.606.565 entrées) et devant Les Tribulations d’un Chinois en Chine (2.701.748 entrées) et L’Incorrigible (2.568.325 entrées), tous avec Jean-Paul Belmondo. Tout simplement magnifique…
par Jérémie Imbert
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le
site de Philippe de Broca