Écrit (avec la collaboration de Pierre Uytterhoeven), filmé et dirigé par Claude Lelouch, L’Aventure c’est l’aventure est un de ces miracles cinématographiques, aujourd’hui devenu un classique, nés d’une alchimie parfaite entre ingrédients divers, voire parfois totalement opposés. Or rien n’était gagné d’avance…
Le film, qui débute sous le 38.982ème coucher de soleil de l’Histoire du Septième Art, suit les pérégrinations de cinq malfrats qui se reconvertissent dans le kidnapping de personnalités. Parmi elles, Johnny Hallyday, Pelé, le Pape, Mao, Nixon, Dali, Howard Hughes et bien d’autres. Claude Lelouch n’est pas allé chercher son sujet bien loin : « C’est inspiré d’un fait réel. Un jour, j’ai reçu un prospectus dans lequel une organisation domiciliée en Suisse me proposait de se mettre à ma disposition pour n’importe quelle sorte de « travail ». Je me suis renseigné autour de moi et me suis aperçu que plein d’amis avaient reçu le même prospectus, aussi bien des personnalités du spectacle que de la politique. J’ai poussé mon investigation et j’ai appris que cette organisation était composée de gangsters qui s’étaient reconvertis pour se mettre à la disposition de particuliers ou d’entreprises si leur profession ne fonctionnait plus… Les héros de mon film sont des voyous qui se sont reconvertis pour se mettre à la disposition de particuliers, de gouvernements, d’entreprises, bref à la disposition de qui a de l’argent. Ce sont cinq salauds qui ont le défaut d’être éminemment sympathiques. »
Une fois le script achevé, le casting sonne comme une évidence : Lino Ventura, Jean-Louis Trintignant, Charles Denner, et le fidèle Charles Gérard. En outre, Lelouch s’intéresse à un jeune entrepreneur du nom de… Bernard Tapie ! Il hésite : l’intégrer à la bande ou lui confier le rôle de l’avocat général ? Las, trop occupé par ses affaires, Tapie rejette (temporairement) cette proposition de carrière artistique, quel que soit le personnage retenu. Tant pis.
Qui prendre à la place ? Claude Lelouch pense soudainement à un artiste d’origine italienne, un certain Aldo Maccione, membre des Brutos (ancêtres transalpins de nos Charlots hexagonaux), puis des Tontos, rencontré il y a quelques années, à l’occasion de scopitones. Ils se revoient, et le voilà aussitôt engagé. Aldo devient donc, par simple chance, le cinquième de ces Pieds Nickelés, et Gérard Sire, lui, hérite de la fameuse robe rouge garnie de fourrure propre à tout Magistrat. L’équipe est désormais au complet… ou presque. Ultime soucis en la matière, Trintignant décline à son tour cette folle aventure, qu’il ne s’imagine absolument pas arpenter. Jacques Brel le remplace alors, particulièrement ravi et motivé de pouvoir observer Claude Lelouch en pleine action. Il l’assume franchement : « Je me fous de ce que vous me ferez faire. J’ai avant tout besoin de faire un stage : je vais vous espionner. » – Brel signant deux films en tant que metteur en scène, l’un en 1971, Franz, et l’autre en 1973, Le Far West, produit par Lelouch lui-même.
Au premier jour de tournage, Lelouch ne sait pas quelle couleur dominante donner à ce nouveau métrage. Il choisit d’amorcer ses prises de vue par la rencontre entre Maccione et Ventura, en Italie. Et si Aldo éprouve d’abord une inexorable « trouille » face à Lino, la situation, irrésistible à souhait, se met en place assez facilement, entre humour subtil et rythme détonnant, doublés d’une connivence inattendue. Claude remercie ses acteurs. Le ton est posé, et il en sera ainsi jusqu’à la fin.
Le soir venu, Lino Ventura invite son partenaire et le réalisateur au restaurant Gigi Fazzi, à Rome. Un souvenir inoubliable pour Claude Lelouch : « Je crois que c’est le plus grand fou rire de toute ma vie. C’est un fou rire qui a dû durer six heures d’affilée ! J’étais épuisé tellement j’avais ri. Quand Lino se sentait dans un climat de confiance, c’était un homme qui se laissait aller, qui pouvait être le meilleur copain du monde. » Naturellement, Aldo Maccione n’est pas en reste question déconne, et à eux deux – auxquels se joindront ensuite trois larrons supplémentaires – celle-ci atteint des sommets. Lelouch développe : « Les mecs étaient heureux de se retrouver tous les matins. Ils bouffaient ensemble à la cantine, ils se racontaient des conneries. » Seule raison d’ « engueulade » sur le plateau : la bouffe ! Aldo et Lino, deux spécialistes du genre, n’en terminent plus de prétention :
« Moi je fais les pâtes !
– Non, MOI je fais les pâtes !
– Mais moi je les fais mieux !
– Non, MOI je les fais mieux ! »
Ce qui n’est pas sans amuser la galerie et, en définitive, c’est une ambiance plutôt bon enfant qui se déroule non seulement devant la caméra de Claude Lelouch mais également hors cadre, de Paris à Fort-de-France, en passant par Antigua et New York. Aldo se rappelle : « Tous les jours on se levait à cinq heures ! Terrible ! Heureusement, on s’amusait beaucoup, beaucoup, beaucoup. Il y avait les nanas, la plage, la classe, les poissons, les cocos… »
Le cinéaste demeure cependant à l’affût, capable d’improviser une séquence dès qu’un comédien ou un élément de décor l’inspirent. L’exemple le plus significatif a lieu tandis que l’équipe est au repos. Aldo en profite pour se balader sur la plage, où il remarque deux ou trois « proies » – féminines cela va de soi. Il s’en approche et commence à leur tourner autour, en entamant une étrange démarche : le corps raide, légèrement penché en avant, les bras ballants et le sourire aux lèvres. Charles Gérard, présent aussi, se plaît à l’imiter. Témoin de cet improbable spectacle, et, littéralement séduit, Claude Lelouch a, sur ces entrefaites, le réflexe de réunir toute la bande, et de reconstituer cette scène avec les cinq comédiens. Lino Ventura, préalablement guère emballé à l’idée de jouer une telle « connerie », qui plus est un dimanche, se laisse peu à peu convaincre, à l’unique condition d’être assis, de dos… pour finalement se laisser prendre au jeu et participer de plain-pied à ce délire, au même titre que Brel, Denner et Gérard, chacun avec son style. À l’arrivée, une des séquences les plus mémorables du cinéma français, et la naissance artistique d’Aldo « macho-né », dit « La classe. »
À noter qu’il s’agit là du premier long-métrage illustrant cet irrésistible « déhanché maccionien », que l’acteur exploitera tout au long de son existence, sans jamais se lasser. Marcel Amont et Philippe Clair en revendiquent la paternité. Aldo réfute, et précise : « C’est une parodie de la classe à l’italienne. Cette démarche est née au collège où je faisais rire les copains. C’était en moi. On ne m’a jamais demandé de faire ça. Et lorsque j’ai commencé à travailler, ce fut la même chose. Je l’ai reprise lorsque je suis passé à l’Olympia en même temps que Sacha Distel, puis dans le film de Lelouch. »
L’Aventure c’est l’aventure laisse une majorité de critiques pantois lors de sa présentation. Pour de nombreux journalistes, le film est à la fois réactionnaire et facho. La revue Positif en rajoute une couche : « La nullité de L’Aventure c’est l’aventure n’est ni révoltante, ni haïssable. Elle est neutre, terne, enlisée au niveau de ce grand public à qui l’on s’adresse. » Plus étonnant, Télérama remet en doute le culte voué à ce film près de quarante ans après sa sortie en salles : « C’est le genre de film dont on gardait un souvenir amusé. À le revoir, on déchante un peu. Le rythme est inégal, la faute à un scénario décousu qu’on soupçonne d’avoir été partiellement improvisé », le 24 juillet 2010, lors d’une énième diffusion télévisée. Mais la Palme de l’ineptie revient à Sandro Cassati qui, dans une biographie consacrée à Lino Ventura, parle d’une intrigue « mal ficelée », d’un montage « désastreux », et de la caméra de Claude Lelouch qui serait « d’une paresse absolue. » L’œuvre a néanmoins le mérite d’ouvrir le Festival de Cannes en 1972, et avoisine les quatre millions de spectateurs. C’est là le plus important.
Claude Lelouch lui-même ne conserve en mémoire que le meilleur : « J’ai tourné ce long-métrage comme un cinéaste amateur qui filmerait ses copains en train de déconner. » Une vraie leçon, spécifiée dès le pré-générique : « Jouissez de la vie ; il est beaucoup plus tard que vous ne le pensez. »
par Gilles Botineau
Pour en savoir plus :
Claude Lelouch, Itinéraire d’un enfant très gâté (Robert Laffont)
Clélia Ventura, Lino Ventura, Carnets de voyages (Barnea Productions)
Gilles Botineau, Aldo Maccione, la classe ! (Christian Navarro Editions)
Charles Gérard, La vie… c’est pas toujours du cinéma (Ramsay)
Christophe Geudin & Jérémie Imbert, Les Comédies à la française (Fetjaine)
Dossier L’Aventure c’est l’aventure dans Schnock n°15 (La Tengo, 2015)