Après le demi-succès du Jouet en 1976, Francis Veber se demande s’il va continuer sa carrière de réalisateur. Il se lance dans l’adaptation pour le cinéma de La Cage aux folles puis, suite au triomphe du film d’Édouard Molinaro, écrit La Cage aux folles II. Un nouveau succès, mais la mise en scène démange le scénariste. Après avoir écrit Coup de tête pour Jean-Jacques Annaud, Veber réalise son second long métrage sur un canevas qui a déjà fait son succès en tant que scénariste : le clown blanc costaud face à l’auguste malchanceux.
« J’avais eu Ventura dans L’Emmerdeur, je crois avoir assez dit à quel point il était chiant, mais comme il était le meilleur, j’ai replongé », avoue Veber. Lino Ventura accepte de jouer le détective Campana, puis se rétracte en apprenant qu’il aura pour partenaire Jacques Villeret. Après avoir écarté quelques noms de possibles partenaires, Ventura accepte de partager l’affiche avec Pierre Richard. Pourtant, il ne fera pas le film pour deux raisons. D’une part, le producteur Alain Poiré refuse de donner au comédien le cachet exorbitant qu’il réclame. D’autre part, « il craignait l’histrion voltigeant autour de lui, un peu comme Gabin se méfiait de Louis de Funès, ou comme un éléphant devant une souris. Dommage ! », admet Pierre Richard.
Dans un taxi, assis à côté de son agent Jean-Louis Livi, une idée traverse soudain l’esprit du grand blond : Gérard Depardieu. Non seulement le comédien est d’accord mais également Francis Veber et la Gaumont. Le cinéaste réunit alors les compères au restaurant, et à la fin du repas, les vêtements de Depardieu sont couverts de sauce tomate et de miettes d’œuf dur que lui a involontairement envoyées Pierre Richard en mangeant : « Gérard a eu pour la première fois le regard incrédule de Campana sur Perrin. Mon couple était né. »
Scorpions et sables mouvants
L’équipe s’envole pour le Mexique. Température locale : 40°C à l’ombre. Pendant la première semaine de tournage, l’équipe se camoufle à l’aide de passe-montagnes, de gants et de bottes hautes, afin de se protéger des moustiques, serpents et autres insectes. Increvable, Depardieu survit au venin d’un scorpion qu’il a écrasé à même le pied, ainsi qu’aux bouteilles qu’il siffle avec ardeur. Contrairement à son personnage, Pierre Richard est très chanceux durant le tournage. Aucun serpent ou cafard ne l’atteint : sa chambre était probablement sous la protection des dieux mexicains !
De son côté, Veber joue au papa. « On était comme deux gamins avec un père gentil mais autoritaire, se souvient Pierre Richard. Comme il surveillait notre nourriture et notre boisson, on buvait en cachette dans la chambre, on sortait la nuit dès qu’il était endormi. On se moquait de lui parce qu’il faisait sa gymnastique tous les matins, et on se cachait derrière les vitres pour le regarder transpirer. »
Pierre Richard et Francis Veber sur le tournage de La chèvre / Jeudi cinéma – 15 oct. 1981
Un modèle de scénario comique
« Je me souviens d’avoir lu le scénario de La Chèvre sur une plage de Belle-Île, raconte Pierre Richard. Je riais tant, tout seul, assis dans le sable – je parle d’un vrai rire sonore, pas d’un rire intérieur -, que je me disais au fil des pages : « Il est impossible de rater un scénario pareil ». C’était une bombe à fragmentation. » La force de La Chèvre réside dans ses situations extrêmement comiques et les rapports psychologiques très justes des deux personnages.
« Veber a filmé le même sujet dans La Chèvre que moi dans Les Malheurs d’Alfred : la malchance, poursuit Pierre Richard. Le traitement est moins burlesque, mais remarquablement bien construit. » D’abord ébranlé par les réactions de Perrin, Campana le cartésien bascule petit à petit, contaminé par son compagnon. Pierre Richard accepte de ne pas jouer « comique » et réussit à interpréter brillamment la partition du scénariste. Francis Veber : « Dans la scène des sables mouvants, Pierre m’aide beaucoup parce qu’il faut s’enfoncer en restant impassible, et seul un grand clown peut le faire. »
Le comédien ne rechigne pas à recommencer la scène une dizaine de fois, même si l’équipe l’oublie entre chaque prise, coincé dans son tonneau. Premier buddy movie de la comédie à la française des années 1980, La Chèvre est considérée comme un modèle scénaristique. À sa sortie, le film provoque un raz-de-marée au box-office : plus de 7 millions de spectateurs ! Le film est également un succès dans le monde entier.
Le trio récidive deux ans plus tard avec Les Compères, puis en 1986 avec Les Fugitifs, où figure aussi l’ami Jean Carmet. Trois films, trois succès ! Après Bourvil / Louis de Funès, le couple Pierre Richard / Gérard Depardieu entre dans la légende.
par Jérémie Imbert
Retrouvez La Chèvre sur le site officiel de Pierre Richard