Harold Ramis, réalisateur inspiré d’Un jour sans fin, scénariste et acteur – il est le Dr Spengler du trio des « Ghostbusters » – nous a quitté le 24 février 2014 à l’âge de 69 ans.
Au cours de sa carrière, Harold Ramis a démontré avec talent que les mêmes journées peuvent se revivre indéfiniment, que les fantômes se chassent entre potes, que l’être humain peut se démultiplier pour échapper aux contraintes du quotidien, et que même les mafieux peuvent avoir le blues.
C’est à Chicago (sa ville natale à laquelle il fut fidèle toute sa vie) qu’il partage les bancs de la troupe de « Second City » aux côtés de Bill Murray, Dan Aykroyd et John Belushi. Ainsi nourri à l’humour délirant et rythmé des futurs « Blues Brothers », il co-signe en 1978 le scénario de Animal House (American College) de John Landis avec John Belushi. Il signe ensuite ses premières réalisations : Caddyshack (Le Golf en folie !, 1980) avec Bill Murray, Vacation (Bonjour les vacances, 1983) avec Chevy Chase, et Club Paradise (Club Paradis, 1986) avec Robin Williams.
Ces premiers films ont en commun les délires de l’insouciance où le temps semble comme suspendu : les protagonistes resteront étudiants toute leur vie, ou encore résidents permanents en station balnéaire… Le temps est alors mis en scène comme une source de plaisirs perpétuels dans des « paradis » qui paraissent éternels.
Après le succès planétaire de Ghostbusters (S.O.S fantômes, 1984), modèle d’efficacité de comédie fantastique des années 1980, personne ne soupçonne qu’Harold Ramis s’apprête à transcender le genre en 1993 avec le film considéré comme son chef d’œuvre : Groundhog Day (Un jour sans fin), une illustration très personnelle de cette obsession de l’occupation du temps.
Un jour sans fin (1993)
Dans un scénario au parfait équilibre et aux gags imparables (comme celui de passer sa nuit en garde à vue en sachant pertinemment que l’on se réveillera le lendemain dans son lit), Harold Ramis fait revivre à Bill Murray la même journée inlassablement. Rien, ni même la mort, ne peut empêcher l’antipathique Phil d’échapper à la condamnation de revivre encore et encore les mêmes 24 heures…
Harold Ramis prend tous les spectateurs à rebrousse-poil en ne dépeignant plus le monde idyllique que ses protagonistes souhaiteraient ne jamais quitter : il choisit d’enfermer son (anti)héros dans un cadre de vie qui lui est proprement insupportable. Harold Ramis explique que « ce qui fait le véritable intérêt de l’histoire et son originalité, c’est qu’elle vous oblige à vous demander ce que vous feriez si vous étiez enfermé pour l’éternité dans une boucle du temps comme notre héros. Phil, lui, passe par toute la gamme des émotions, depuis une confusion et un désespoir total jusqu’à un opportunisme absolu. Il se sait libéré de toutes les conséquences de ses actes. Rien de ce qu’il peut faire n’influe sur son lendemain. Nous avons essayé d’imaginer ce que cela pourrait signifier pour lui, mais aussi pour n’importe lequel d’entre nous ».
La délivrance ne survient qu’après une sévère mise à l’épreuve dont l’enjeu est de transformer tout moment d’échec et d’égoïsme en perfection. Au bout du voyage : la joie de vivre et le bonheur dans les gestes simples du quotidien. Car, à la longue, même quelqu’un d’aussi égocentrique que Phil Connors peut se lasser de passer son temps à s’amuser et à faire ce qui lui plaît. Il arrive alors à saturation. Harold Ramis précise : « Il est arrivé au bout de ses expériences, au bout de lui-même, même au bout de sa mort, et il peut tout recommencer. Il va progressivement changer, commencer à devenir quelqu’un d’autre, quelqu’un de beaucoup plus humain. »
Pour Harold Ramis, le temps qui passe ne doit plus nous effrayer pour ce qu’il pourrait détruire, mais, au contraire, enthousisamer grâce à ce qu’il va apporter. Un film de référence étudié dans les écoles de cinéma. Harold Ramis confiait au New York Times en 1993 que les rabbins l’appelaient en lui demandant s’il n’était pas catholique afin de s’assurer de pouvoir eux-mêmes véhiculer les messages judéo-chrétiens de son film !
Mes doubles, ma femme et moi (1996)
Trois ans plus tard, Harold Ramis prolonge ses obsessions temporelles avec Multiplicity (Mes doubles, ma femme et moi, 1996). Cette fois, Michael Keaton a le pouvoir de se cloner afin d’échapper aux tâches journalières. « Je travaille depuis l’âge de 12 ans et j’ai droit à une pause ! », s’exclame Doug Kinney, le personnage principal.
Alors taxé de « masculinisme » aigu, Ramis s’explique : Un jour sans fin décrivait une déformation du temps qu’il n’aurait jamais décrite sans sa sous-dimension humaine. Multiplicity traite en fait de cette même dimension, mais avec un regard mature porté sur la manière dont chacun souhaiterait vivre sa vivre.
«Le sujet du clônage ne m’inspire pas s’il n’est pas abordé sous l’angle des implications morales qu’il soulève. Mon film n’est pas un film sur l’asservissement aux tâches quotidiennes mais bien une fable sur nos vies à tous. Chacun des clônes représente une facette différente de l’Homme moderne et de sa « schizophrénie » contemporaine», confiait Harold Ramis.
« Très tôt, nous sommes formatés par une définition préconçue de l’Homme par la télé, les films, la publicité et la famille. Nous nous auto-façonnons alors selon cette image tout en nous défaussant de tout modèle contradictoire. Les véritables Hommes sont censés être des Casanova et séduisent par exemple autant de femmes qu’ils le peuvent… Mais en même temps, cet Homme reste fidèle à sa femme et à sa famille. Nous, Hommes, sommes supposés être forts, agressifs, compétitifs, mais également attentionnés, compréhensifs et sensibles. Nous devons travailler dur, et sans transition prendre le temps d’aller skier avec nos familles et conduire les enfants au ballet de danse et aux leçons de karaté, lire des livres, et parfois même réfléchir un peu… Multiplicity suggère ainsi de ne pas segmenter le temps afin d’en exécuter encore plus mais d’être au contraire plus intègre dans chaque dimension de notre vie. »
Cette obsession de l’occupation du temps, fragmenté ou non, a peut-être conduit Harold Ramis à fréquenter les cabinets des psychanalystes qui lui ont inspiré le scénario d’un autre grand succès international : Analyse This (Mafia Blues, 1999), face à face burlesque entre le « caïd » Robert de Niro et son psychanalyste Billy Crystal. Analyse This est suivi d’une rechute trois ans plus tard : Analyse that (Mafia Blues 2, 2002). Enfin, ironie du sort sans doute, son dernier film s’appelle Year One (L’An 01, 2009).
Harold Ramis devait en principe rejoindre l’équipe de Ghostbusters 3, qu’il devait par ailleurs éventuellement réaliser. Mais le temps en a décidé autrement. La maladie a définitivement écarté tout espoir de revivre le passé des chasseurs de fantômes. Harold Ramis semblait en avoir terminé avec ses thèmes quand il déclara: « Je ne tourne plus en rond en me demandant ce qu’il serait bon de raconter dans un film à présent, je réfléchis au contraire à ce qui serait assez important à mes yeux pour occuper les prochaines années de ma vie. Avec Un jour sans fin, je pense avoir concocté un mélange de comédie, d’étrangeté et d’humanité qui me convient. »
Harold Ramis a peut-être rejoint ses fantômes, mais les dialogues aiguisés et le rythme parfait de ses comédies phares ont marqué notre époque… pour toujours.
par Jérôme Antezak