Ultime représentant d’une certaine comédie populaire à la française, Philippe Clair, de son vrai nom Prosper Charles Bensoussan, nous a quittés le 28 novembre 2020 à l’âge de 90 ans.
Né le 14 septembre 1930 à Martimprey du Kiss (Maroc), le jeune Prosper Bensoussan envisage assez tôt d’être comédien. La majorité atteinte, il s’installe en France, suit les Cours René Simon – qui l’incite à changer de nom – avant de s’inscrire au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, où il croise le chemin de Jean-Paul Belmondo et d’Annie Girardot : « J’étais heureux d’être parmi ces vedettes en herbe. Ma folie rejoignait particulièrement celle de Belmondo. Ensemble, nous passions plus de temps à terroriser les filles de nos pesantes farces que d’analyser les classiques. Mon unique problème : gommer ce petit brin d’accent qui traînait encore sur mes lèvres. Consciencieusement, je m’y efforçais chaque jour… Cent fois, mille fois je répétais : la chose, la chause, la chôôôse… ».
Philippe Clair – pseudo définitivement adopté – exécute ensuite ses premiers pas sur scène dans La Servante du passeur de Marcelle Routier en 1955, puis dans Les Îles fortunées de Simon Gantillon en 1956. Conjointement, il décroche quelques petits rôles au cinéma, sous la direction d’Henri Verneuil (Des Gens sans importance, 1956) ou de Christian-Jaque (Babette s’en va-t-en guerre, d’après un scénario de Raoul Lévy et Gérard Oury, 1959), tout en enchaînant les contrats à la télévision : il intègre notamment la prestigieuse distribution du Cyrano de Bergerac dirigé par Claude Barma en 1960, et apparaît dans un certain nombre de séries et feuilletons phares du moment (La Caméra explore le temps, Les Cinq dernières minutes, L’Inspecteur Leclerc enquête, La Caravane Pacouli, etc.).
Mais c’est en faisant découvrir l’humour judéo-arabe, avec des pièces telles que Purée de nous z’otres (Jacques Bedos, Robert Castel et Lucette Sahuquet, 1963) ou La Parodie du Cid (Edmond Brua, 1964) dont il signe la mise en scène, que Philippe Clair commence à acquérir une puissante réputation, si bien qu’un producteur, Raymond Danon, s’empresse de lui soumettre un possible long-métrage construit autour de sa personne. Clair y répond favorablement – à condition d’en prendre les rênes complètes – et lui envoie un sujet original, Déclic et des claques, ou les mésaventures (ouvertement autobiographique) de quatre pieds-noirs venus d’Alger, désireux de conquérir Paris.
Philippe Clair parle de son premier film Déclic et des claques – Rhône Alpes actualités / 11 mai 1965
Danon signe, et l’apprenti réalisateur s’entoure d’amis talentueux (Annie Girardot, Georges Blaness, Enrico Macias, Marthe Villalonga…). À l’écran, tous se montrent d’une extrême générosité. Philippe Clair est ravi. Malheureusement, le film peine à attiser la curiosité (648.106 entrées). Vite oublié, il n’est redécouvert qu’en 1998 par le journaliste Louis Skorecki (Libération) : « Bien avant Lelouch ou Zemmouri, Déclic et des claques installe un climat joyeusement bâtard et métèque, qui contraste singulièrement avec l’angélisme hollywoodien de l’époque. Partant d’un scénario blagueur et léger, il ose l’absurde, la postsynchronisation intensive, la vitesse ahurie. Mais c’est surtout un film visionnaire, anticipant avec plus de trente ans d’avance le succès de La Vérité si je mens ! dont il est une sorte de brouillon mal fichu et joyeusement mockyen. »
Entre-temps, Philippe Clair galère. S’il continue de triompher au théâtre (De Bab-el-Oued à l’Elysée), le Septième Art semble désormais lui tourner le dos, en dépit d’une scène mémorable face à Jean Gabin (Du Rififi à Paname de Denys de la Patellière, en 1965). L’intéressé témoigne : « Dans le milieu, on disait que l’échec de Déclic et des claques avait pour cause sa culture pied-noir. Et j’ai eu droit à des commentaires franchement antisémites. Du jour au lendemain, j’étais la honte du cinéma français. »
Tournage de La Grande java à Marseille – Provence Actualités / 28 mars 1970
Il lui faut ainsi batailler cinq ans pour parvenir à monter un second projet, La Grande java. Interprété par Les Charlots (alors en pleine ascension) et Francis Blanche, le film marque les prémices du « style Philippe Clair » : un humour à la fois absurde et burlesque, ne respectant aucune limite. Personne n’y croit, à commencer par les acteurs. Clair s’accroche néanmoins, et souffre en silence. Il en sera récompensé.
À l’arrivée, sa Java fait un carton en salle (plus de trois millions de spectateurs), et permet donc à l’auteur de délivrer une succession de délires d’un genre similaire : La Grande maffia avec Francis Blanche et Aldo Maccione (1971), La Brigade en folie avec Sim et Jacques Dufilho (1972), Comment se faire réformer… avec Richard Anconina (1978). Et le succès demeure, malgré de rares déceptions : Le Führer en folie avec Alice Sapritch et Henri Tisot (1973), Le Grand fanfaron avec Michel Galabru (1975) ou encore Rodriguez au pays des merguez avec Gérard Hernandez (1979) décontenancent en effet le public.
Tournage du Führer en folie – JT 13h / 27 août 1973
À l’aube des années 1980, Philippe Clair obtient davantage de moyens et, en proposant à Aldo Maccione de trôner seul en haut de l’affiche, atteint des sommets : Tais-toi quand tu parles (1981), suivi par Plus beau que moi tu meurs (1982), cumulent à eux deux plus de cinq millions de tickets vendus (rien qu’en France), séduisent les critiques (« Le charme opère, on rit beaucoup. À quoi cela tient-il ? La réponse est simple, il y a un sujet », dixit Les Cahiers du cinéma !) et deviennent instantanément cultes pour beaucoup (Zinédine Zidane, entre autres) : « Du délire ! se souvient le cinéaste. C’était à peine croyable : les rires s’emballaient, incontrôlables ! Mon producteur s’affolait, il s’inquiétait sérieusement : « C’est pas possible, Philippe, qu’est-ce que tu leur as fait ? »
Dans la foulée, Clair se paye le luxe de tourner avec l’immense Jerry Lewis (Par où t’es rentré… on t’a pas vu sortir, 1984). Une rencontre mémorable. Sur le plateau, les deux hommes s’entendent à merveille et ne cessent de se faire rire mutuellement, ce qui donne lieu à un bêtisier d’anthologie : « Je ne parlais pas un mot d’anglais, pourtant. Mais la langue du rire est universelle ! Le tournage achevé, nous n’avions pas envie de nous séparer. Je l’ai accompagné jusqu’à l’aéroport. Et nous nous embrassions, nous nous embrassions… De là nous est venue l’idée de prendre une photo. Pour que cette union reste gravée à jamais ! »
Si à sa sortie le long-métrage n’attire pas les foules escomptées (823.230 entrées), il finira par rassembler au fil des ans, et à juste titre, de multiples inconditionnels. Trop tard, peut-être, car la carrière de Philippe Clair au cinéma s’éteint progressivement. Si t’as besoin de rien… fais-moi signe !! (1986), Si tu vas à Rio… tu meurs (1987) et L’Aventure extraordinaire d’un papa peu ordinaire (1989), ses derniers opus, ne séduisent guère. La fin d’une époque. En marge, il accuse un de ses anciens producteurs de ne pas lui avoir versé l’argent qui lui était dû. En résultent d’interminables procès, et le blocage de la quasi-totalité de son œuvre.
Récemment, l’artiste nous confiait : « À la question « Et si c’était à refaire ? » il y en a qui répondent « Oui, je referais tout pareil ! » Moi, non. Je ferais autre chose de ma vie, c’est certain. Comment ai-je pu réaliser autant de films ? Je m’interroge… Quand je tournais, j’étais le seul à rire. Mon mérite, s’il doit y en avoir un, c’est d’avoir fait des films comiques avec des techniciens, notamment, qui ne riaient jamais. À chaque fois, j’avançais avec la rage au ventre. Le combat était permanent. C’est un métier si difficile. Mon cœur n’est pas brisé, il est seulement meurtri. Mon seul but à présent, l’hilarité pour l’éternité… Mourir d’un éclat de rire ! ».
par Gilles Botineau
À lire :
Philippe Clair, Quel métier étrange ! (Grrr…Art éditions, 2014)
Philippe Clair et Gilles Botineau, Authentique mais vrai ! (Christian Navarro éditions, 2021)