« Je suis très triste, Victor est parti.
Professionnellement, nous sommes nés ensemble, au même endroit, au même moment. Bien avant Bernard Blier ou Gérard Depardieu, Victor a été le premier mur contre lequel mon personnage naissant s’est cogné. On ne s’est pas quitté pendant des années. On a travaillé ensemble, on s’est engueulé parfois, on a beaucoup ri aussi. On était comme un couple. Je n’oublierai jamais son sourire, ses regards, ses bouderies. Oui, j’ai perdu un ami très cher. Je suis très triste. Victor et moi partagerons à jamais un territoire commun : la jeunesse. »
Pierre Richard
Après une carrière de plus de cinquante années sur les planches ou devant les caméras de cinéma et de télévision, le comédien Victor Lanoux s’est éteint jeudi 4 mai 2017 à l’âge de 80 ans.
Lanoux fait ses premiers pas sur scène avec Pierre Richard au début des années 1960 : « Victor Lanoux avait envie de faire du cabaret, moi aussi. Il était beau, brun et massif. Moi, j’étais blond et fluet. On était parfaitement complémentaires. On a bu une bière, on s’est regardés et on s’est dit : pourquoi on ne ferait pas un numéro ensemble ? »
Victor Lanoux et Pierre Richard se mettent à écrire des textes qu’ils présentent dans différents cabarets (L’Écluse, La Galerie 55…). Basés sur le comique de l’absurde, leurs sketches séduisent le public. « Finalement il n’y a pas trente-six sortes d’emploi, il y a ceux qui donnent des gifles et ceux qui les reçoivent, explique Pierre Richard. Moi, j’étais d’accord pour en prendre de vraies parce que sinon ça ne faisait pas rire. Je n’aurais jamais reculé devant un rire. » [V. Lanoux et P. Richard parlent de leur duo le 18 octobre 1977]
Victor Lanoux et Pierre Richard « Les Gifles » / Music hall de France – 19 déc. 1965
En septembre 1963, Georges Brassens les engage pour faire sa première partie à Bobino. C’est là que la chanteuse Michèle Arnaud, également productrice de télévision (Les Raisins verts), repère le duo et les engage pour faire des interludes comiques réalisés par Pierre Koralnik et Jacques Rozier.
Ces émissions leur permettent de gagner leur vie jusqu’au jour où Lanoux décide de voler de ses propres ailes. Pierre Richard raconte : « Un beau jour de 1966, il m’a dit : « J’arrête parce que je vais jouer une pièce de théâtre ». C’était Le Cheval évanoui de Françoise Sagan. Je ne pouvais pas lui reprocher. Je le comprenais parce qu’il était temps, et qu’on n’allait pas faire ce que Les Frères ennemis ont fait pendant vingt ans, c’était quand même un peu restrictif. Il fallait bien un jour qu’il éclate de son côté pour que je puisse éclater du mien, chacun dans sa veine. Sinon, on aurait continué notre petit ronron tous les soirs, et reçu nos petites enveloppes un peu plus copieuses. Je ne lui en voulais pas du tout. Notre duo s’est arrêté là. »
Pourtant, les deux amis se retrouvent quelques années plus tard devant la caméra de Pierre Richard qui réalise son troisième film : Je sais rien, mais je dirai tout. Le métrage n’étant pas assez long pour une exploitation en salle, Pierre invite son ami Victor à rejouer avec lui deux sketches cultes de leurs années cabaret qu’il intègre au montage : Les Peintres et Les Briques.
Victor Lanoux et Pierre Richard « Les Briques » / Music hall de France – 19 déc. 1965
Cinq ans plus tard, Lanoux remplace au pied levé Patrick Dewaere devant la caméra de Gérard Oury dans La Carapate. Le duo qu’il reforme avec Pierre Richard fait des étincelles au Box-office puisque près de trois millions de spectateurs rient aux éclats devant cette suite ininterrompue de péripéties burlesques en plein mai 68.
Parmi les comédies marquantes auxquelles Victor Lanoux a prêté sa dégaîne, citons Elle court, elle court la banlieue (Gérard Pirès, 1973), Cousin cousine (Jean-Charles Tacchella, 1975), Un éléphant ça trompe énormément (Yves Robert, 1976) et sa suite Nous irons tous au paradis en 1977, Un moment d’égarement (Claude Berri, 1977), Retour en force (Jean-Marie Poiré, 1980), Y a-t-il un Français dans la salle ? (Jean-Pierre Mocky, 1982), La Smala (Jean-Loup Hubert, 1984), Le Bal des casse-pieds (Yves Robert, 1992), Les Démons de Jésus (Bernie Bonvoisin, 1995), et Reines d’un jour (Marion Vernoux, 2001).
Certains médias ne retiennent de lui que son interprétation de Louis la Brocante, une série diffusée sur France 3 entre 1998 et 2014. Nous n’oublierons jamais que, avec ou sans moustache, il était avant tout un excellent comédien ayant collaboré avec les plus grands cinéastes, d’Yves Allégret, Gilles Grangier et Yves Boisset à Pierre Granier-Deferre, Yves Robert, Philippe de Broca, Jean-Charles Tacchella et Samuel Fuller en passant par Gérard Oury, Pierre Richard, Georges Lautner, Jean-Marie Poiré, Alain Jessua, Gérard Pirès, André Téchiné et Jean-Pierre Mocky.
À lire :
Laissez flotter les rubans de Victor Lanoux (Le Cherche midi, 2009)
Deux heures à tuer au bord de la piscine de Victor Lanoux (Le Cherche midi, 2014)
Je sais rien, mais je dirai tout de Pierre Richard (Flammarion, 2015)
par Jérémie Imbert