Connu de tous, et apprécié par une majorité, Le Père Noël est une ordure a cependant essuyé de nombreuses déconvenues avant d’acquérir son statut d’œuvre culte, pièce et film compris. C’est celaaaa, oui !
Fin 1970, Le Splendid s’effrite. Dans la continuité de son tournage – des plus chaotiques, rappelons-le –, Les Bronzés font du ski ne rencontre pas un vif enthousiasme en salles – le temps lui rendra heureusement justice – et un troisième volet baptisé Les Bronzés en Amérique, aussitôt prévu outre-Atlantique, et tant espéré par le producteur Yves Rousset-Rouard, ne se concrétise finalement pas.
En outre, les acteurs constituant cette joyeuse bande s’émancipent progressivement, et tous se préoccupent désormais de leur carrière solo : Christian Clavier s’apprête à « craquer » devant la caméra de François Leterrier, Josiane Balasko et Michel Blanc s’illustrent à la télévision dans Les Quatre Cent Coups de Virginie, Marie-Anne Chazel et Thierry Lhermitte se baladent ici ou là… Quant à Gérard Jugnot, il est avec Daniel Auteuil un des deux héros qui n’ont pas froid aux oreilles, sous la direction de son ami Charles Nemes.
Gérard Jugnot à propos de la création de la pièce – 19 mai 1980
En marge, la conception d’une nouvelle pièce se met tout de même en place. Premier titre : Le Père Noël s’est tiré une balle dans le cul ! Après le Club Med d’Amour, coquillages et crustacés – futur Bronzés – , le groupe s’intéresse à l’association SOS Amitié, et à ces personnes en détresse qui font appel à de tels services, principalement les soirs de fêtes. Les idées fusent, soutenues par une inspiration sans limite, voire, parfois, son propre vécu. Marie-Anne Chazel explique : « Mon père avait un peu travaillé dans une organisation de ce genre, créée par un pasteur suisse. Je me souviens qu’il était tout à fait interdit de recevoir les gens, de donner des rendez-vous. Toute la communication devait se faire exclusivement par téléphone. Pour éviter, justement, ce que l’on a décrit – en exagérant – dans la pièce. »
Ainsi naissent Pierre et Thérèse, « Zézette épouse X », ce petit con de Jean-Jacques alias Katia, monsieur Preskovitch accompagné de ses doubitchous, et une ordure de Père Noël. Josiane Balasko raconte : « Au préalable, on avait l’idée de faire des personnages très bons, très humains, et puis, petit à petit, ça a évolué. On a décidé de placer l’action à Noël. C’est à ce moment-là que les gens seuls sont vraiment le plus seul. » Gérard Jugnot précise : « Nos écritures collectives ont toujours relevé du miracle. Mis à part quelques répliques fortes et quelques situations, je crois que, ni moi, ni personne de l’équipe, n’y retrouveraient ses petits tellement chaque idée, chaque vanne se bonifiait après avoir été frottée aux réflexions et apports des autres. »
Seulement, le sujet ne fait pas l’unanimité, et Michel Blanc s’en détourne de façon radicale : trop noir, trop glauque. D’autres manquent de disponibilités pour s’y consacrer pleinement et, en définitive, le texte est finalisé par Lhermitte et Jugnot. Ni plus, ni moins. Titre arrêté : Le Père Noël est une ordure !
Philippe Bouvard et le Splendid – 29 octobre 1979
Sur scène, rue des Lombards, le casting se peaufine. Le rôle de Thérèse, initialement pensé pour Josiane, est confié à Anémone. Gérard refuse pour sa part de se raser la moustache afin d’incarner Katia. Roland Giraud s’en empare au début, puis laisse la place à Christian, de retour. Et, à Jugnot d’enfiler la hotte.
Par la suite, une poignée d’échanges éphémères s’opèrent, histoire de remplacer ceux partis honorer un contrat ou deux supplémentaires au cinéma. De fait, Zézette est interprétée coup sur coup par Marie-Anne, Josiane… et Tonie Marshall (!), tandis que Blanc remplace Jugnot une quinzaine de jours, presque avec regret : « Quand il entrait sur scène avec son revolver à la main, Gérard faisait pleurer de rire. Moi, je glaçais la salle… » Le succès est en tout cas au rendez-vous. Aucun de ses auteurs n’y croyait. Thierry Lhermitte n’en revient toujours pas : « Au bout de quelques semaines, la pièce finie, on l’a relue tous ensemble, et je me suis demandé qui cela allait faire rire. C’était complètement débile, notre truc. Nos copains se marreraient sûrement, mais les gens seraient consternés. » Pourtant, le résultat est là. Tout fait mouche, des situations aux dialogues, horriblement jouissifs. Jugnot confirme : « Le succès a été tel qu’au bout de quelques mois on a dû chercher une salle plus grande. Nous avons déménagé à la Gaité-Montparnasse, un vrai théâtre où il était agréable de jouer. »
Deux cent représentations plus tard, l’optique d’une transposition vers le septième art est fortement envisagée. Le réalisateur Philippe Galland, copain de Gérard, marié à Anémone, et déjà responsable de la captation de la pièce, dépose sa candidature. Las pour lui, la majorité vote pour le « rock-n-roll » Jean-Marie Poiré, dont le nom a été soufflé par Josy, après deux collaborations, Les Petits câlins en 1977 et surtout Les Hommes préfèrent les grosses, un des triomphes français de l’année 1981.
Pour autant, l’adaptation du Père Noël est une ordure ne se fait pas sans mal. Des désaccords surviennent entre le cinéaste et les membres du Splendid. L’un prétend qu’une réécriture assez conséquente s’impose, les autres au contraire estiment qu’il n’y a pas grand-chose à changer. Finalement, Lhermitte, Jugnot et les autres consentent à lâcher du lest. Jean-Marie Poiré a beau demander beaucoup, la confiance est nécessaire. Il modifie notamment la fin – dans la pièce, une explosion dans l’appartement attenant à celui de « Détresse Amitié » entraîne la mort de tous les protagonistes – qu’il juge simpliste, et hors de propos au cinéma. Celle du film – située au zoo de Vincennes – est plus noire, plus désespérée, dans la mouvance de son intrigue. Un choix hautement judicieux.
Certains emplois gagnent aussi en importance, à l’instar de Katia, le travesti. Poiré tombe clairement sous le charme de Clavier, dont il intensifie le caractère, du scénario à sa mise en scène. Mention spéciale à cette longue tirade, cadrée en plan rapproché, la voix et les yeux emplis de larmes : « Je suis un anormal ? Je n’ai pas le droit d’être différent ? Je suis l’ami de personne… Je suis simplement quelqu’un de seul, qui a besoin des autres et qui vient ici chercher un peu de réconfort. Seulement, vous êtes incapables de me le donner, parce que vous êtes coincés dans votre univers de moral de merde ! Vous ne voyez rien… Vous êtes myopes des yeux, myopes du cœur, et myopes du cul ! J’ai des poils qui me poussent sous le maquillage, je suis un pot à tapin, mais je réclame le droit de vivre ! Merde ! » Lors du tournage, le jeune comédien s’en réjouit ; ses partenaires, en revanche, le jalousent quelque peu, puis s’esclaffent lorsqu’ils le voient plus tard ayant maille à partir avec divers badauds, clients réguliers de prostitué(e)s, l’interrogeant sur ses tarifs, loin des caméras.
Parallèlement, on se met d’accord sur une série de personnages additionnels. Josiane Balasko, absente de la pièce, devient Marie-Ange Musquin, dirigeante de Détresse-Amitié, que l’on coince dans une cage d’ascenseur afin de ne pas bouleverser excessivement le texte originel. Michel Blanc est pressenti pour interpréter un curé, mais le concept est rapidement abandonné. En contrepartie, il accepte de prêter sa voix, le temps d’un brillant dialogue (« Je t’encule, Thérèse… »). Martin Lamotte passe en voisin, et l’éminent Jacques François, en admiration devant la troupe, décroche le statut de pharmacien, qu’il canonise par l’intonation de ces simples mots : « C’est… c’est de la merde ? » Son plaisir est d’ailleurs tel qu’il se prête au jeu gratuitement.
Jean-Marie Poiré, lui, ne se contente pas de mettre bêtement en image la pièce. Il s’en empare franchement et signe à l’arrivé un vrai film de cinéma : « J’avais été très impressionné par le Marie-Octobre de Julien Duvivier qui se passe entièrement dans un salon, et qui est un film très découpé avec énormément d’axes de caméra. C’est devenu mon credo sur Le Père Noël. Varier les axes sans arrêt, pour insuffler du rythme. J’ai demandé aux acteurs d’oublier, sur ce film, le temps de la vie, pour rentrer dans le temps du spectacle. » À la production, Yves Rousset-Rouard manque d’entrain. Durant la préparation, il estime que le décor de la pièce ferait parfaitement l’affaire – une occasion, plutôt, d’économiser sur le budget – et tente de convaincre l’assemblée. Impensable pour Poiré et ses acolytes !
Une construction plus ambitieuse, dans les studios d’Epinay, se dessine alors. Et la bonne humeur de s’y imposer ! Trop, peut-être. Jean-Marie est régulièrement exclu du plateau en raison de crises incontrôlables, lesquelles nécessitent une multiplicité de plans. Rousset-Rouard est désespéré par tant de gaspillages… Les comédiens, eux, n’en ont cure. Ils s’amusent en priorité, et si fou rire il y a, mettent leur expérience à profit – dans la mesure du possible – en ayant recours à de précieuses astuces : Lhermitte et Clavier, par exemple, attendent d’être successivement de dos, lors du fameux slow, pour se lâcher. Imparable. Dès lors, la prise est sauve, et, à l’image, les spectateurs n’y voient que du feu ! À noter qu’à ce moment-là, dans les enceintes, crépite en réalité la voix de Julio Iglesias, entonnant sa célèbre chanson Vous les femmes. La production ne pouvant – ou, refusant de – payer la totalité des droits, jugés exhorbitant, on la remplace à la dernière minute par Destinée de Guy Marchand, sur une musique de Vladimir Cosma, le tube des Sous-Doués en Vacances, de Claude Zidi.
Jean-Marie boucle son plan de travail avec deux semaines de retard. Une goutte d’eau… Yves Rousset-Rouard voit sa pression retomber, et porte même un regard philosophe sur cette aventure : « Je me suis aperçu que Jean-Marie jouait gros sur le film, il ne fallait pas qu’il le rate, car personne ne le raterait, lui. D’un côté, il avait son nom à affirmer, et de l’autre sept auteurs qui l’attendaient au tournant. Ils lui avaient donné un joyau, il ne pouvait en faire un film quelconque. »
Une fois le métrage monté, sa programmation publique est calée au 25 août de l’année 1982. Sans surprise, le titre fait scandale. Le Splendid se doutait bien qu’il ne laisserait pas insensible. Il fut déjà difficile d’obtenir des autorisations de tournage pour les plans en extérieurs. Mais aux grands maux, de puissants remèdes ! Dans ce cas précis, l’équipe prétend tourner Les Bronzés fêtent Noël, et les portes s’ouvrent alors plus facilement. Une liberté dont ils ne disposent pas indéfiniment : à sa sortie, l’affiche du film signée Solé est censurée par la RATP qui s’oppose à la voir trôner parmi ses encarts publicitaires, et la polémique prend une ampleur disproportionnée. La SNCF et les colonnes Morris adhèrent à cette résistance. En Belgique, on relativise, tout en précisant : « Le Père Noël (PAS LE VRAI) est une ordure ! » Invité au journal télévisé afin d’en assurer la promotion, Gérard Jugnot est à son tour fermement interrogé sur le sujet : « Je vous arrête tout de suite parce que sur la chaîne concurrente est passé un film qui s’appelle Dieu est mort, et là je trouve ça très grave… et on ne dit rien parce que c’est John Ford » [voir la vidéo] Ironiquement risible. Très remonté, Bruno Moynot prend la plume et exprime sa colère dans la presse. Le 25 juin, France-Soir résume l’affaire par un article titré « La guerre des affiches. »
Évidemment, les critiques en rajoutent une couche, et passent, pour la plupart, complètement à côté du métrage. Serge Toubiana, représentant Les Cahiers du Cinéma, écrit : « Pas de contenu, stop – Comédie parfois noire, stop – Comédie sans message, stop. » La Nouvelle République assure que « le film devrait compter dans les poubelles de l’Histoire du cinéma » et L’Humanité enfonce le clou : « À la poubelle ? La caractéristique du Père Noël est une Ordure ! est la niaiserie, peut-être l’intention délibérée de viser au plus bas. » Georges Charensol, en dernier lieu, parle de « vulgarité », ce qui a le don d’irriter Christian Clavier : « Le Père Noël… est un film d’une salutaire grossièreté… mais en aucun cas vulgaire ! L’humour est toujours décapant, toujours méchant. Or, je pense que c’est important d’être sans pitié avec les personnages que l’on incarne, ou que l’on écrit, et, en même temps, de ne jamais les mépriser. Moi, je trouve que le mépris est vulgaire. La vraie vulgarité, elle est là. »
In fine, un million cinq cent quatre-vingt mille spectateurs se déplacent en salles, un score à peine supérieur à celui des Bronzés font du ski. Ce n’est pas un franc succès, au point de se classer vingt-deuxième au box-office cette année-là, loin derrière L’As des as, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, Le Gendarme et les Gendarmettes, La Boum 2, Les Sous-Doués en Vacances et Plus beau que moi tu meurs. Poiré s’en désole : « J’avais pris l’habitude d’enregistrer au magnétophone les projections dans les salles afin de savoir exactement où les gens riaient. Ce n’était pas le tout de dire « Telle scène est drôle », mais j’avais besoin pour mon travail de metteur en scène de déterminer précisément la réplique qui déclencherait le rire. Dans le film Pas de problème réalisé par Georges Lautner et qui avait fait deux millions d’entrées, les gens riaient de bon cœur et comme je constatais qu’ils riaient encore plus pour Le Père Noël… j’étais convaincu que le film ferait plus d’entrées. »
Heureusement, en trente-cinq ans, le public a su le (re)découvrir, et l’a transmis de génération en génération, surfant sur l’essor de la VHS d’une part, ses multiples rediffusions télévisuelles de l’autre. Aujourd’hui, Le Père Noël est une ordure ! apparaît comme l’un des films préférés des Français. Pour preuve, le 4 janvier 2015, plus de quatre millions de téléspectateurs le regardaient encore, sur France 2, en prime time ! Jean-Marie Poiré, honnête, affirme : « Je ne savais pas que le film deviendrait un film culte. À dire vrai, j’étais plutôt énormément déçu en voyant le premier montage. » Et, ni la réalisatrice Nora Ephron (Nuits blanches à Seattle), qui en signe un remake en 1994, avec Steve Martin, Adam Sandler et Haley Joel Osment, sous le titre Mixed Nuts [voir la bande-annonce], ni la troupe à Pierre Palmade, n’ont, depuis, réussi à se hisser à la hauteur du modèle. C’est bien là le propre de tout classique.
« Joyeux Noël quand même !
– Y a pas de mal ! »
par Gilles Botineau
Pour en savoir plus :
Une époque formidable : Mes années Splendid’ de Gérard Jugnot (Grasset)
Christian Clavier, Splendid carrière de Gilles Botineau (Christian Navarro éditions)
Les Comédies à la française de Christophe Geudin et Jérémie Imbert (Fetjaine)
Pleins feux sur… Le Père Noël est une ordure ! de Pierre-Jean Lancry (Horizon illimité)
Génération Splendid d’Alexandre Grenier (Belfond)
Première (EDI-Monde/S.N.E.F.)
Le Père Noël est une ordure – Bonus DVD (StudioCanal)
Le Divan d’Henri Chapier – Diffusion télé : France 3, le 23/09/1989 (France Télévisions)
Jeu bonus : Quel est votre personnage préféré du Père Noël est une ordure ?