On sait que dans la comédie, tout est question de rythme, de tempo, de timing… choisissez le terme que vous voulez. De nombreuses scènes sont ainsi régulièrement coupées par les producteur ou les réalisateurs eux-mêmes, afin de ne pas ralentir l’action. Or, depuis l’explosion du DVD et de ses indispensables suppléments, nous avons enfin accès aux scènes coupées de nombreux classiques de la comédie à la française. Voici notre sélection non exhaustive des scènes coupées au montage qui auraient pu devenir cultes. « Coupez ! »
Le Corniaud (Gérard Oury, 1965)
Compagnon de Michèle Morgan, Gérard Oury avait écrit pour elle une courte séquence lui permettant d’intervenir en tant que « guest » dans son quatrième long-métrage, Le Corniaud, une méga production franco-italo-espagnole de plus de six millions de francs (l’équivalent d’un million d’euros, une sacrée somme à l’époque). Au beau milieu d’une filature effrénée entre Antoine Maréchal (Bourvil) et Léopold Saroyan (Louis de Funès), ce dernier croise sur son chemin, et par un heureux hasard – à la suite d’une interview pour la radio-télévision italienne –, la célèbre comédienne, jouant son propre rôle. La reconnaissant physiquement, mais ne retrouvant pas son nom, Saroyan se soumet devant sa grandeur et, sur le ton de la séduction, s’improvise mécanicien quelques minutes durant : « Tout va bien pour vous ? Les pneus ? Les bougies ? L’allumage ? » Cela n’apporte strictement rien à l’intrigue, et cette scène l’aurait fortement ralentie, mais on est toujours preneur d’un peu de rab en compagnie de l’insurpassable Fufu.
La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966)
Admirablement écrit par Gérard Oury, Danièle Thompson, et Marcel Jullian, La Grande vadrouille dispose d’une structure si fluide et rigoureuse qu’on peine à soupçonner l’existence de scènes sectionnées au montage. Et pourtant, il y en a… une ! Celle-ci ne dure qu’un peu plus de deux minutes, et s’avère être en réalité un prolongement du dialogue au lit, situé entre le « Comment vous me trouvez, physiquement ? » et le « Ah oui, j’ai oublié de vous dire : je ronfle ! Mais c’est rien, vous n’aurez qu’à siffler… » Qu’ajouter, si ce n’est que Bourvil (Augustin) et Louis de Funès (Stanislas) nous offrent une nouvelle illustration de maestria comique lors de cet échange haut en couleur !
Extrait :
Stanislas : « Vous savez, moi je gagne beaucoup plus que vous, évidemment. Ce que je gagne, c’est énorme. C’est énooorme ! »
Augustin : « Ben dîtes donc, vous devez être heureux. »
Stanislas : « Non. Non, mais vous, vous êtes un homme heureux. »
Augustin : « Pourquoi ? »
Stanislas : « Parce que vous n’avez pas mes soucis ! Moi, j’ai des charges, j’ai des impôts, j’ai le personnel… Regardez : j’ai le gros personnel, et le petit personnel. Eh bien, chez moi, ça grouille ! Y en a partout du petit personnel ! »
Augustin : « Sapristi ! »
Stanislas : « Regardez : j’ai trois voitures ! Dont deux qui ne me servent à rien ! Parce que je ne peux pas monter dans les trois en même temps… »
Augustin : « Sapristi, sapristi ! »
Stanislas : « Tenez, là, à Cannes, j’ai une énorme propriété, puis une moins grande à Deauville. Je ne peux pas aller dans les deux en même temps, alors ça fait que j’y vais jamais ! »
Augustin : « Sapristi, sapristi ! »
Stanislas : « Dîtes, vous n’allez pas répéter « Sapristi, sapristi », comme ça, toute la soirée… »
Augustin : « Ben, faut bien que je dise quelque chose, quand même… »
Stanislas : « Ben, dîtes autre chose ! Y a « Bigre », vous avez « Sacrebleu », vous avez « Diantre… »
Bernie (Albert Dupontel, 1996)
Âgé de trente ans, Bernie Noël quitte l’orphelinat qui l’avait recueilli à sa naissance – après avoir été jeté à la poubelle – et se retrouve livré à lui-même, au cœur d’une société qu’il ne comprend pas. Déambulant dans un supermarché, le personnage se jette sur différents produits – un mixeur, une cafetière (qu’il achète en double), et un fer à repasser – sans en connaître véritablement l’utilité, imitant bêtement les autres clients présents sur place. Loin de la noirceur générale propre à l’ensemble du métrage, cette séquence inédite – totalement muette – offre une parenthèse d’« absurdité légère » très appréciable, et plutôt réussie.
Les Visiteurs 2 : Les Couloirs du Temps (Jean-Marie Poiré, 1998)
Largement inférieur au premier volet, le film comporte malgré tout son lot de scènes cultes, y compris parmi celles exclues du director’s cut. Mention spéciale à cette séquence où Jacques-Henri Jacquart, bloqué en plein Moyen-Âge, subit les avances de Pétronille, incarnée par Armelle, la maîtresse de Jacquouille. Une idée scénaristique intéressante. En effet, que se passerait-il si un homme du XXème siècle venait à procréer à une autre époque que la sienne ? Quand on voit déjà le bazar spatio-temporel provoqué par une simple perte de bijoux (la dentelette de Sainte-Rolande), on n’ose imaginer… Cela n’arrive de toute façon pas dans ce film, le sujet étant ailleurs, et le personnage de Jacquart se révélant aussi beaucoup trop précieux pour une telle action ! Quoi qu’il en soit, le face à face Christian Clavier/Armelle vaut son pesant d’or, et donne enfin sens à ce plan, de quelques secondes seulement, présent dans le montage définitif, où la comédienne hurle – avec un plaisir non dissimulé – « Au feu », lorsque le pauvre Jacquart est amené à brûler vif sur un bûcher.
Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre (Alain Chabat, 2002)
Jamel Debbouze, Edouard Baer, Les Robins des Bois… Toute la jeune génération estampillée Canal+ s’est donnée rendez-vous dans cette seconde adaptation live d’Astérix au cinéma mise en scène par Alain Chabat, après la version de Claude Zidi en 1999. Ne manquent à l’appel qu’Omar et Fred… tout du moins, au sein de la version définitive. Car le DVD propose, en guise de supplément, une scène cocasse, durant laquelle les deux larrons, employés par Numérobis, peignent des hiéroglyphes sur la façade d’un palais. L’occasion de débattre sur l’orthographe égyptienne, complexe au possible : « T’as fait une faute, là. Oui, parce que le scarabée, il s’accorde quand le canard est placé avant le petit panier d’objet direct… ».
Les Clefs de Bagnole (Laurent Baffie, 2003)
Premier et unique film à ce jour réalisé par Laurent Baffie, Les Clefs de Bagnole est un pur délire cinématographique. En guise d’ouverture, le cinéaste propose un méli-mélo de témoignages d’artistes divers (Jean Rochefort, Guillaume Canet, Pierre Richard, Gérard Darmon, Daniel Auteuil, Pierre Arditi, Thierry Lhermitte, Patrick Timsit, Dave, Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Légitimus…), exprimant leur refus quant à une éventuelle participation à ce long-métrage. Une mise en scène d’une ingéniosité rare ! Hélas, victime d’un trop-plein, Baffie se voit dans l’obligation d’en supprimer au montage, dont certaines perles : Andy Garcia, Michael Madsen, Michel Serrault, Bernard Tapie… et surtout Christophe Lambert, gratifié d’une réplique exceptionnelle, certainement la plus belle de toute sa carrière : « Je veux bien jouer les singes… mais pas les blaireaux ! ».
Lors de sa sortie DVD six mois après son immense succès en salles (3,5 millions d’entrées), le film signé Yann Moix propose un montage de 115 minutes, soit 25 supplémentaires par rapport à sa version cinéma. Parmi les séquences honteusement coupées, l’une d’elles montre Bernard Frédéric, « le plus grand sosie de Claude François au monde », exercer une « sardonnade ». Le principe : faire une descente dans un club où ont l’habitude de se réunir moult ersatz de Michel Sardou, et en torturer deux ou trois, pour l’exemple, dans un hangar abandonné où résonne en boucle le tube « Si j’avais un marteau. » Benoît Poelvoorde, batte de baseball à la main, nous rappelle malicieusement le Ben de C’est arrivé près de chez vous, mais qui aurait, en plus, visionné Orange Mécanique et Reservoir Dogs. Jouissif à souhait !
La Vie de Michel Muller est plus belle que la vôtre (Michel Muller, 2005)
Véritable OFNI, à classer dans la catégorie « docu-fiction », le film de Michel Muller s’est littéralement ramassé à sa sortie en janvier 2005, avec deux-mille et quelques cinq cent spectateurs. Pourtant, l’œuvre, aussi grinçante que barrée, ressemble à son auteur et devrait ravir ses inconditionnels, pour peu qu’ils s’en donnent la peine. Au-delà du film, définitivement incontournable, quelques scènes non conservées apportent un supplément d’« énormité » qui manque tant au cinéma français. Citons, par exemple, cette partie de jambes en l’air dans un hôtel, que n’aurait pas reniée DSK : un pote à Muller pénètre une prostituée si vigoureusement que la tête de la jolie blonde en vient à traverser la cloison. De mauvais goût, certes… irrésistible, quand même !
Incognito (Eric Lavaine, 2009)
Succès surprise du printemps 2009, Incognito, second film d’Eric Lavaine après Poltergay, conduit Franck Dubosc au paroxysme de son talent comique. Sous les traits de Francis, une incruste lourdaude et un poil benêt, le comédien cumule les séquences d’anthologie, entre situations décalées et répliques saugrenues. Lors d’un dialogue originellement plus long en compagnie de Luka (incarné par Bénabar), Francis se plaint du régime alimentaire que lui fait subir son hôte : « Putain, encore du thon ! Hey, je suis pas un lapin, moi… » Cela s’apparenterait presque à du Philippe Clair !
OSS 117 : Rio ne répond plus (Michel Hazanavicius, 2009)
Torturé par l’ignoble Von Zimmel, Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117, se contraint à une agréable pensée, afin de mieux supporter la douleur. C’est alors qu’apparaît, en mode subliminal, l’affriolante Dolorès Koulechov, espionne du Mossad. Seulement, le martyre est trop fort, et l’image de Dolorès se brouille, laissant alors place à Hippie « Pomme d’Amour », l’homme avec qui OSS aurait eu des rapports sexuels peu de temps auparavant, un soir de fumette, sur une plage brésilienne, et qui l’invite à présent à manger « des glaces à la banane. » Anecdotique… mais tellement drôle !
Bonus : Les Bronzés font du ski (Patrice Leconte, 1979)
Selon Patrice Leconte, 45 minutes – jugées en partie ratées, mais cela reste très subjectif – auraient été supprimées du montage final des Bronzés font du ski, dont une séquence se déroulant en boîte de nuit dans laquelle Jean-Claude Dusse, alias Michel Blanc, se disputerait avec le gérant (on parle d’un Martin Lamotte au sommet de sa forme). Le cinéaste précise aujourd’hui qu’il est formellement impossible de récupérer ces scènes. Un affreux mensonge dans l’attente d’une édition méga collector ?
par Gilles Botineau